Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

jeudi, 27 novembre 2008

Les Corsaires - introduction à « Marins & Corsaires Nantais »

S'achèvent donc ici, en finissant par l'Introduction en cinq parties, ces chroniques portuaires de Nantes, publiées pour la première fois le 1er avril 2006, un peu par hasard, d'où cette fin qui en était le commencement. Avec les Corsaires Nantais, nous sommes loin des pirates et des forbans qui fréquentent les Caraïbes, la mer de Chine ou les côtes Somaliennes.
Le bon Paul Legrand dévoile — nous sommes pourtant en 1908 — son anglophobie ; mais je sais certains "vieux gréements" concarnois et douarnenistes qui aujourd'hui encore ne le désavoueraient point. Si les Anglais te mordent...!
Je pense entreprendre une publication sur Calaméo*, excellente plate-forme de publication qui permet de retrouver la forme de notre "codex", tellement plus familier à nos comportements de lecture que ces "ascenseurs" qui nous ont fait régresser au "volumen" antique.
Demeure un sacré labeur de re-mise en page qui prendra quelque temps. Mais quand on plante encore un arbre n'est-ce pas....

Cette dernière rubrique est dédiée aux marins du Marche-Avec, cotre sardinier de Concarneau, sacrés matelots et grands bouffeurs d'Anglais !



corsaires001.jpg

LES CORSAIRES


Que Nantes s'efforce de jeter un voile sur ses Négriers, faute de pouvoir les effacer de son histoire, c'est d'une très sage politique ; mais qu'elle englobe ses corsaires dans la même réprobation et cherche à les noyer dans le même oubli, ce n'est plus que de l'ingratitude en même temps que de la maladresse,

Et l'on comprend d'autant moins le mépris affecté par certains Nantais pour nos corsaires, que ce sont précisément leurs faits d'armes qui remplissent les pages les plus belles de notre histoire ; celles qui, seules, peuvent faire oublier nos hontes en les couvrant du rejaillissement de leur gloire.

Cette étrange et très commune manière de voir provient, le plus souvent, d'une fâcheuse confusion entre le corsaire et le pirate ou forban.

Ce dernier, véritable écumeur de mer, n'est, en somme, qu'un voleur de grand chemin sur les routes maritimes. Il n'a d'autre nationalité, d'autre loi que la sienne. Il opère en paix comme en guerre ; s'attaque à tous les navires qui passent à portée de ses canons ; et n'a d'autre secours à attendre que de lui-même ; il est mis hors la loi, forbanni, par toutes les puissances.

Tout autre est le corsaire. Muni d'une autorisation de son gouvernement, — d'une lettre de marque, — il porte le pavillon national; ne fait la Course qu'en temps de guerre, et seulement contre les navires des nations ennemies ou violant la neutralité. Ses actes, loin d'être abandonnés à son libre arbitre, sont minutieusement réglés par la loi et contrôlés par un Tribunal.

En somme, le corsaire est, ou plutôt était un navire privé, armé en guerre avec l'autorisation et sous le contrôle de l'Etat ; ayant pour mission d'inquiéter le commerce de l'ennemi, de menacer ses convois et ses colonies, et de défendre les côtes et les navires marchands du pays auquel il appartenait. Comme récompense de ses services, et pour dédommager l'annateur de ses dépenses et de ses risques, l'Etat lui abandonnait le montant de ses prises reconnues valables.

Le corsaire était généralement un navire de vitesse, fortement armé, monté par un équipage nombreux et résolu. Aux termes de l'Ordonnance de la Marine, tout corsaire d'au moins 60 tonneaux, devait avoir un aumônier ; ils avaient tous un chirurgien et un écrivain.

En plus de l'équipage proprement dit, le corsaire comprenait des soldats, parfois appelés « flibustiers », recrutés un peu partout, bons ou mauvais, français ou étrangers, et chargés seulement de la partie militaire de la campagne, tandis que l'équipage s'occupait de la manœuvre du navire.

Si le corsaire rencontrait une voile et voulait la reconnaître, il devait hisser son pavillon et l'appuyer d'un coup de canon ; c'était le coup de semonce. Si le navire arborait pavillon ami ou neutre, le capitaine du corsaire se rendait à son bord pour inspecter sa cargaison et ses papiers, et constater qu'il n'y avait ni fraude dans les papiers du bord, ni contrebande de guerre dans la cale ; rôle extrêmement délicat, et qui nécessitait chez le capitaine de corsaire un flair remarquable. En cas de doute, il saisissait les papiers et faisait conduire le navire suspect au port le plus voisin, où sa situation était régularisée.

Que si, au contraire, le navire en vue arborait au coup de semonce un pavillon ennemi, c'était la lutte, le vainqueur s'emparait du vaincu, l'amarinait, pour employer une expression consacrée.

L'ennemi amariné, le corsaire y envoyait un capitaine et un équipage de prise pour le conduire au port le plus voisin. Il lui était interdit en principe de couler la prise après l'avoir enlevée, ou même de la relâcher contre rançon. Les motifs de cette prescription étaient des plus sages. Les juges de prises, ayant sous les yeux les papiers du bord, pouvant interroger les officiers ennemis et visiter le navire, étaient bien plus à même d'apprécier la validité ou la non-validité de la prise ; et ce contrôle obligé des actes des corsaires suffisait parfois à les empêcher de commettre des pillages ou des pirateries, qu'ils auraient été peut-être tentés de faire sans la crainte de cette enquête. Toutefois, dans certains cas, si la prise était en trop mauvais état, si l'équipage capteur était trop réduit par les prises précédentes pour fournir un nouvel équipage de prise, le corsaire était autorisé à l'abandonner en la désarmant, ou à la rançonner ; mais il devait toujours, dans ce cas, saisir les papiers et prendre deux de ses officiers pour figurer au procès de prise.

Dès que la prise arrivait au port, elle était jugée ; c'est-à-dire que l'Amirauté la déclarait valable ou non valable. Dans le premier cas, elle était vendue au bénéfice du capteur et de ses armateurs ; dans le second, ces derniers devaient au contraire indemnité aux armateurs du navire amariné ; la vente effectuée, le prix était réparti par parts entre l'équipage et l'armement,

Sans doute, toutes les nations maritimes pratiquèrent la Course, mais pas une peut-être n'y excella comme la nôtre. C'est ainsi, par exemple, que dans la seule période de 1793 à 1797, et d'après les registres du Lloyd, alors que nous étions en pleine Révolution et en guerre avec l'Europe entière, les Anglais nous enlevaient seulement 376 navires, tandis que nos corsaires amarinaient le chiffre fabuleux de 2.266 navires britanniques.

On comprend aisément alors l'acharnement que déploya l'Angleterre pour faire disparaître la Course qui la ruinait ; elle y parvint en 1856, et cette maladresse, issue d'une fausse idée d'humanitarisme,—comme tant de nos maladresses et de nos fautes,—fut accueillie en Angleterre avec un immense soulagement.

Toutefois, ne l'oublions pas, la Course fait encore partie de notre Code (1), et est susceptible toujours d'être loyalement employée contre les nations qui n'ont pas encore souscrit à son abolition (2).

Peut-être même faut-il aller plus loin, et dire qu'en dépit de la Déclaration de Paris de 1856, — on sait, par des exemples récents, ce que les nations belligérantes pensent des déclarations et des lois internationales, — la Course, conséquence du droit de guerre, renaîtrait logiquement, d'elle-même, au cours de n'importe quelle guerre maritime un peu longue.

Telle est du moins notre opinion, et nous dirons volontiers avec M. Gallois : « Si la guerre venait à se rallumer jamais entre la France et l'Angleterre, cette implacable ennemie d'autrefois, cette douteuse alliée d'aujourd'hui, le premier mot de cette guerre nouvelle devrait être la Course » (3).

Ces quelques lignes d'explication nous semblaient nécessaires au début de cette étude sur la Marine Nantaise.

Nantes, en effet, a été l'un des plus célèbres ports de corsaires de la France ; son histoire est faite de celle de leurs navires et de leurs combats ; sa gloire et ses héros sont empruntés à leurs faits d'armes et à leurs capitaines ; et si, trop souvent, gloire et héros sont méconnus et méprisés, c'est que beaucoup de Nantais encore ignorent ce qu'était la Course et ce que furent les corsaires.


(1) Code de Commerce, art. 217.
(2) Les Etats-Unis, le Mexique et l'Espagne.
(3) GALLOIS, Les Corsaires Français sous la République et l'Empire, t. II, p. 464.

culdelampe002.jpg


RAPPEL

Introduction à
Marins et Corsaires Nantais
par Paul Legrand
Héron - J. Mesnier & C° - Éditeurs
7, Rue de Strasbourg - Nantes - 1908

Pages scannées par grapheus tis.

* Découvert grâce à FB qui pour son site éditorial publie.net utilise l'outil.

Les commentaires sont fermés.