vendredi, 15 février 2019
sur des variations de Jean Sébastien Bach et d'Anton Webern
Avant qu'il n'apparaisse en Pléiade, j'amasse l'œuvre complet en format poche de mon "conscrit", Philippe Sollers, lâchement exempté de guerre d'Algérie. Le dernier paru, c'est Beauté qui suit — à remarquer la brièveté de plus en plus fréquente des titres — L'éclaircie, Fugues, Médium, Mouvements, Complots, Beauté donc qui précède le Folio espéré en 2019, Centre.
Dans ce folio, il y accumule Pindare, Holderlin, Aliénor d'Aquitaine, Bach, Jean Genet, le Chevalier de la Barre qui mutile les crucifix. Et Rimbaud, inévitablement,— mais serait-ce pour une ultime fois ? — dont il cite "j'ai vu l'enfer des femmes là-bas" qui serait une des dernières formules d'une Une Saison en enfer. Je n'ai pas encore vérifié, mais ce faisant, je tombe, dans une quasi antépénultième phrase, sur cette assertion : « Je hais maintenant les élans mystiques et les bizarreries de style ».
Il se paume dans les constellations d'un ciel de printemps ; en deux pages, il doit énumérer toutes celles que nous offre en une carte céleste Stelvision, à l'heure précisée par lui-même, 21h30.
Il mentionne Paul de Tarse, l'épistolier fameux pour ses adresses aux Thessaloniciens et aux Corinthiens.
Et en basse continue depuis Pindare, les anciens Grecs, leurs dieux, leurs poètes, leurs philosophes, tel Empédocle à qui la déesse donne des yeux "infatigables".
Il écrit qu'il garde un secret sur la scène d'amour entre Athéna et Ulysse. C'est possible avec cet homme qui invente le verbe RÊVRER, rêver vrai. Il a lu Homère, le Chant VIII de l'Iliade et les versets 384-385* : avant de revêtir l'armure, Athéna laisse couler à terre sa robe. Un instant elle est Nue.
Le livre refermé, il suffit d'écouter Bach, Mozart, sa Sonate en la mineur K310 à moins que ce ne soit le 20e Concerto en ré mineur, Anton Webern, ses Variations pour piano, op. 27.
Et de poursuivre le rêve vrai d'une Athéna Nue.
* le texte en grec ancien :
αὐτὰρ Ἀθηναίη κούρη Διὸς αἰγιόχοιο
πέπλον μὲν κατέχευεν ἑανὸν πατρὸς ἐπ᾽ οὔδει
ποικίλον
alors Athéna la fille de Zeus qui porte l'égide
sur le seuil de son père laissa couler
son somptueux péplum
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dimanche, 19 août 2018
Lecture de bord de mer
Quand Sollers rejoint Ulysse, puis ayant lu un calligraphe chinois, quand il se rapproche d'Héraclite,
je comprends pourquoi : Athéna se promène dans son jardin et l'écrivain aquitain vieillissant est devenu sage.
.............................................. Silence, silence. Les fleurs et les mouettes ne m'ont rien dit.
Un type pour qui les dieux grecs seraient là se trouverait en état d'observation et d'invocation constantes, de déchiffrement permanent des forces positives ou négatives, à l'affût du moindre signe et de la plus furtive variation du vent. Il saurait quel dieu lui en veut, lequel ou laquelle le protège, bref il serait le contraire du somnambule ou du fanatique d'aujourd'hui.
C'est un navigateur, pas un occupant terrestre. Rien à foutre d'une frontière ou d'un territoire, les courants, les vagues, les remous, les criques sont ses partenaires, il préserve sa liberté, il suit les étoiles. Il est, à lui seul, la négation de la négation, c'est-à-dire l'infini. Prétention? Mais non, expérience modeste, les Heures, « gardiennes de la porte du ciel », l'entendent. S'il crie, il sera écouté.
Le mot « contradiction », en chinois, s'écrit avec deux idéogrammes. Le premier signifie « bouclier », le second « lance ». La lance est censée percer tous les boucliers, le bouclier, lui, résiste à toutes les lances. La contradiction est totale, nul ne peut en sortir, sauf celui qui peut fabriquer à la fois ce bouclier et cette lance. Un dieu, par conséquent, mais il a disparu, il se cache. La désolation de la négation règne partout.
À présent, sois attentif : Athéna passe dans le jardin, sous la forme de ta dernière amie de passage. Tu la vois de dos, elle ne sait pas qui elle est, sa grâce est éclatante, sa démarche lente et souple, comme si elle volait un peu au-dessus du gravier. Tu admires son cou, ses épaules, son chemisier bleu sombre à pois blancs qu'elle a l'habitude de mettre en descendant de l'Olympe. Elle n'est pas du tout là, bien entendu, et, si elle était là, elle n'aurait à te dire que des banalité courantes........
Philippe Sollers
Mouvement (2018)
Grecs, pp. 246-247
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dimanche, 24 juin 2018
une histoire de lectures : Sollers depuis 55 ans
Sollers, c'est une histoire de lectures qui commence difficilement en mars 1963. Je suis à Biskra dans la première année fastueuse et naïve de l'indépendance algérienne. Je m'offre pour mon anniversaire L'intermédiaire chez mon petit libraire algérien de la place Ben M'hidi. J'ai vaguement entendu parler d'Une curieuse solitude dans la presse, du parrainage de ce jeune auteur par Mauriac. Nous sommes de "la classe" ; j'ai su qu'il avait simulé une schizophrénie pour être exempté d'Algérie.
Pas emballé mais amusé par cette "Introduction aux lieux d'aisance" avec une très forte citation de Thérèse d'Avila en exergue : "Faites ce qui est en vous". Il me faudra attendre le retour en France, mes premières approches du Nouveau Roman — j'ai lu dans un numéro d'Esprit en 56 ou 57 sur le thème. N'en ai retenu que Nedjma de Kateb Yacine — je suis dans la théorie littéraire pour comprendre Robbe-Grillet, Michel Butor, Claude Simon que je peine à déchiffrer, j'achète donc L'écriture et l'expérience des limites. Mais... bof !
Sollers est enfoui pour vingt ans dans les sables de mon intellect qui répugne à ce qu'il estime être l'illisibilité. Il faudra en 1994 une traversée du golfe de Gascogne entre Nantes et Porto pour que je glisse dans mon sac Femmes, paru en 1983, acheté en 1984, à peine ouvert, déjà refermé pour dix ans. L'étirement des calmes de ce juillet 94 sur Biscaye me fera plonger dans la douce énumération des noms de femmes, Kate la journaliste, Cyd l'Anglo-américaine, Flora l'anar espagnole, Bernadette la féministe, Ysia la Chinoise, Louise la claveciniste, Deborah la "régulière"...
À peine débarqué j'enchaîne avec Portrait du Joueur, puis dans le même sillage, Le Cœur absolu. Chaque été verra désormais son Sollers de l'année en poche dans le sac marin pour meubler les heures de quart et la paresse des mouillages. Lectures entre délectation facile et détestation certaine.
Jusqu'aux essais sur Casanova l'Admirable, Vivant Denon le Cavalier du Louvre, Mystérieux Mozart, La Guerre du Goût, L'Éloge de l'Infini, Discours parfait et le gros tout dernier Fugues : alors là, j'aime. Pour le regard et la plume aigu.e.s et alertes du critique, que ce soit sur la langue, la peinture, la philosophie, la poésie chinoise, les nostalgies aquitaines d'Hoderlin...
Mais si je reviens à ces livres qu'il nomme "romans"qui oscillent entre fiction, autofiction, autobiographie — allez savoir ! —critique littéraire, notes de lectures, "copiages" sans vergogne — quelle liberté ! — pour épaissir le dos du livre,
Anxieuse réflexion de Stendhal : plaisait-il ? N'était-il pas « babilan » (autrement dit plus ou moins voué au fiasco par impuissance) ? Mais qu'est-ce que « plaire », pour un homme, sinon renvoyer à sa partenaire sa propre image magnifiée ? Il a « plu », Stendhal, mais rarement et pas longtemps. En réalité, il a perçu comme personne la profonde frigidité féminine assortie de ruses et simulacres divers, bref l'hystérie tantôt convenable et dévote, tantôt explosive pour dissimuler son vide. En termes décents du 19e siècle, on dira que Mme X ou Mme Y manque de tempérament, ou bien qu'elle en a un, mais factice. Stendhal veut atteindre ce point narcissique obscur. Il y parvient, et c'est l'amour, au sens cristallisé que ce mot peut prendre.
Trésor d'Amour, p.61
Je puis, chaque an qui passe, reprendre cette chronique. Depuis Trésor d'Amour, il y eut, toujours en poche, L'Éclaircie, Médium, L'École du Mystère. J'attendais Mouvements, Complots, Beauté.
En cet été commençant, dans les assoupissements béats et opiacés qui tentent d'effacer les lacérations trop aigües de l'acide urique, je "m'évaille" dans Mouvement où se mêlent, s'imbriquent, s'enlacent la Bible et quelques psaumes, Jonas et son foutu caractère, Job et ses amis faux-jetons, la dialectique de Hegel, la coke, Dante et ses cercles de l'Enfer, la seconde mort de Lazare, Pascal et les Pensées, de brèves phrases plagiées des Illuminations*, les incestueuses filles de Loth, les amantes multiples, simultanées et avec des retours du cardinal de Retz, des plus marquises aux belles servantes et je ne sais combien de poètes chinois — je vais, non les énumérer, mais bien les dénombrer dans l'ordre des millénaires et des siècles — trente-trois depuis Jin Yi, né en 200 avant notre ère et Mao lui-même, mort le 9 septembre 1976. S'ajoutent l'internet, Lascaux, google, les textos et leurs textomanes males et femelles…. et toujours les livres :
"les vrais livres, radicalement réveillés dorment à poings fermés, c'est leur force. Ces blocs de sommeil sont d'une lucidité incroyable. Je sais où les trouver et comment leur parler".
Mouvement, p. 65
J’attends donc pour meubler cette chronique la publication en poche de Complot et de Beauté.
Lecteur en suspens !
* "Sorti de là, — de la grotte de Lascaux — à l'aurore, je pourrai entrer ni vu ni connu, armé d'une ardente patience aux splendides villes".
"Et j'ai longtemps habité sous de vastes portiques"
08:56 | Lien permanent | Commentaires (0)
mardi, 14 mars 2017
une fin d'hiver printanière
Le pêcher est en fleurs, les seringas poussent leurs bourgeons, les pâquerettes "émaillent" la pelouse qui n'est plus qu'une vieille prairie heureuse. D'où le volontaire cliché de "la prairie émaillée".
J'écoute le"'Philosophe" de Haydn" par Il Giardino Armonico.
J'ai feuilleté "Une activité respectable" de Julia Kerninon, une de mes trop rares incursions dans les écritures d'aujourd'hui. Elle y narre qu'elle fréquentait toute jeunette de vieux poètes d'un "club interlope" (sic!) établi une ancienne usine de biscuits dans (sa) ville natale — qui n'y reconnaîtrait point le Lieu Unique ? Audacieuse, cette jeunesse littéraire !
Je sors tout juste de la lecture des bouquins de vieux amis de naguère : Noé Richter et ses Institutions de Lecture Publique, Michel Chaillou et son Sentiment géographique qui favorise mes endormissements dans les vallées du Forez au XVIIe siècle où je crois bien, je retrouve la Lumineuse de l'automne dernier qui errait, elle, aux confins des Landes d'Armagnac et du Pays d'Albret.
Je grogne en parcourant mon conscrit Philippe Sollers qui, dans son École du Mystère, cite Lucrèce lequel célèbre, dans son De rerum natura, Épicure, sans même citer le traducteur que donc je nomme, un certain José Kany-Turpin :
Humana ante oculos foede cum uita iaceret
in terris, oppressa graui sub religione
quae caput a caeli regionibus ostendebat,
horribili super aspectu mortalibus instans,
primum Graius homo mortalis tollere contra
est oculos ausus, primusque obsistere contra;
quem neque fama deum nec fulmina nec minitanti
murmure compressit caelum, sed eo magis acrem
inritat animi uirtutem, eriringere ut arta
naturae primus portarum claustra cupiret.
Ergo uiuida uis animi peruicit, et extra
processit longe flammantia moenia mundi,
atque omne immensum peragrauit mente animoque,
unde refert nobis uictor quid possit oriri,
quid nequeat, finita potestas denique cuique
quanam sit ratione atque alte terminus haerens.
Quare religio pedibus subiecta uicissim
opteritur, nos exaequat uictoria caelo.
La vie humaine, spectacle répugnant, gisait
sur la terre, écrasée sous le poids de la religion,
dont la tête surgie des régions célestes
menaçait les mortels de son regard hideux,
quand pour la première fois un homme, un Grec,
osa la regarder en face, l'affronter enfin.
Le prestige des dieux ni la foudre ne l'arrêtèrent,
non plus que le ciel de son grondement menaçant,
mais son ardeur, fut stimulée au point qu'il désira
forcer le premier les verrous de la nature.
Donc, la vigueur de son esprit triompha, et dehors
s'élança, bien loin des remparts enflammés du monde
Il parcourut par la pensée l'univers infini.
Vainqueur, il revient nous dire ce qui peut naître
ou non, pourquoi enfin est assigné à chaque chose
un pouvoir limité, une borne immuable.
Ainsi, la religion est soumise à son tour,
piétinée, victoire qui nous élève au ciel.
Lucrèce
Éloge d'Épicure
De Rerum Natura, I, 62-79
Je reprends ici l'intégralité de l'hommage à Épicure dont Sollers, étonnamment, ne cite que les quatre versets en gras et en... français, lui qui aime tant rallonger la sauce de ses chapitres par de nombreuses et longues citations, souhaitant atteindre chaque fois les plus de 180 pages dans ses récentes publication.
Je cesse tout bavardage, j'ai à planter rosier, fraisiers et autre échinacéa que ce matin j'ai soigneusement plongés dans un pralin de ma composition.
Je saute dans mes sabots.
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vendredi, 07 décembre 2012
sic transit
Pour la vanité des choses humaines, l'exercice du pouvoir et la possession de la terre
Des sages des Indes croisant Alexandre en marche conquérante de l'Europe vers l'Asie dament de leurs pieds la terre. Il s'étonne de ce geste. Ils lui disent :
Kαὶ οὖν καὶ ὀλίγον ὕστερον ἀποθανὼν τοσοῦτον καθέξεις τῆς γῆς ὅσον ἐξαρκεῖ ἐντεθάφθαι τῷ σώματι.
Et quand tu mourras — et proche est ce moment — tu n'occuperas de la terre que ce peu qui suffit à ton corps pour être enseveli.
Arrien,
Anabase, Livre VII, 1.
Pour atténuer la mélancolie et célébrer le possible de la procrastination
Jean Jacques a fui Paris et ses gens de lettres, il vit à l'orée de la forêt de Montmorency, il écrit à Chrétien-Guillaume de Lamoignon de Malesherbes, Directeur de la Librairie, institution censoriale de la royauté, pour lui avouer les jouissances et voluptés de sa retraite. Ce serait la première esquisse de ses écrits autobiographiques.
Après avoir donné la matinée à divers soins que je remplissais tous avec plaisir parce que je pouvais les remettre à un autre temps, je me hâtais....
Jean Jacques Rousseau,
Troisième lettre à Malesherbes.
Pour éclairer l'écriture
Sollers fait, à son accoutumée, retraite annuelle (?) à Venise. Et comme il sait si bien le faire, il meuble nombre de ses pages avec de fort abondantes citations et allusions à Stendhal. Il est un excellent guide pour le lecteur qui répugne aux aspects surannés de certains ouvrages stendhaliens — De L'Amour, par exemple. Ci-dessous, nous n'en sommes qu'au paléolithique. Mais les chemins de l'écriture sont immémoriaux.
... le son, dans les cavernes, était d'abord une boussole. Dans l'obscurité souterraine, l'éclairage était faible et les torches inutilisables dans les boyaux. On se servait donc du son comme d'un sonar pour se déplacer et s'orienter. La voix allait et revenait, déchiffrant l'espace. Très souvent, il suffit de suivre la direction de la meilleure résonance pour arriver aux peintures. L'oreille sait où elle a quelque chose à voir. Ainsi, les points d'ocre, à l'intérieur des boyaux, correspondent au maximum de résonance. Voilà le chemin, et, au fond, quand on écrit, c'est pareil.
Philippe Sollers,
Trésor d'amour, p.16.
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mercredi, 22 février 2012
lecture courante de grandes proses III
C'est la troisième grande prose — enfin, grande ? pour mon goût —. J'aurais souhaité un plus long commentaire. Mais je me suis embarqué dans l'histoire de ma relation de lecteur avec les écrits de Sollers. Trop long à achever pour ces jours-ci quand Noémie et Célia sont arrivées de Gascogne.
Le texte qui suit est une de ces chroniques qui se situent au mitan du Discours parfait et qui s'offre donc de manière fortuite, — qui paraît fortuite, écrirait Borgès —, entre un Mauriac grand cru et un Breton magique ! Est-ce une anaphore en son commencement et une liste en sa fin ? Un simple parallélisme ? Une reprise banale ? J'hésite ; ces interrogations répétitives me paraissent plus que simple liste. Les férus de procédés littéraires jugeront.
Un poète ? Oui, très grand, mais ce mot couvre trop
de petits commerces. Un penseur ? Oui, fondamental,
mais qu'aucun philosophe ne saurait mesurer
(et encore moins le discours universitaire). Un théologien
négatif ? C'est peu dire, puisque, chez lui, rien n'est
idéal ni abstrait. Un spécialiste des mythes et des rituels
chamaniques ? Son expérience personnelle (notamment
au Mexique) le prouve. Un drogué ? Il n'en finit pas
d'avoir besoin de l'opium pour atténuer ses souffrances.
Un fou ? Si cela peut vous rassurer. Un prophète ?
Il est au cœur de la barbarie du XXe siècle,
captant son énergie noire comme personne du fond des
asiles d'aliénés (40 000 morts, très oubliés, en France,
pendant l'Occupation, famine et électrochocs). Mais
avant tout : un rythme, un choc, une pulsation, une
voix, une profondeur affirmative graphique qui ne vous
quittent plus une fois que vous les avez rencontrés, et
vraiment éprouvés. 1 769 pages, des cahiers noircis,
des portraits et des autoportraits admirables, des lettres,
des improvisations en tous sens, c'est la guerre, la torture
la protestation, le témoignage brûlant, le courage
de tous les instants.
Philippe Sollers
Saint Artaud
in Discours parfait
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mardi, 14 février 2012
« discours de l'éloge de la guerre » ou « parfait infini du goût »
Ce qui est fort bien quand vous vous procurez un épais bouquin de plus de 900 pages c'est que quand vous le posez sur une table et que vous souhaitez le feuilleter, il s'ouvre généralement sur les pages centrales.
Voilà comment et pourquoi Le Discours Parfait de Philippe Sollers s'est ouvert de suite sur quelques pages qui revivifient les intérêts du liseur, plus encore aiguisés par les titres des chroniques — puisque ce livre dans la suite de La Guerre du Goût et d'Éloge de l'Infini est un recueil de chroniques sur la littérature, la philosophie, la musique, la peinture et "Dieu".
Donc trois ou quatre titres entre les pages 400 et 500 — le mitan du bouquin, vous dis-je : Claudel censuré — Claudel porc et père — Ivresse de Claudel — Mauriac le frondeur — Mauriac grand cru — Saint Artaud.
La messe est dite.
C'est allègre, paradoxal, provocant, acerbe, vachard. Pour les auteurs, pour leurs lecteurs, pour les critiques, les journalistes.
Du Sollers grand cru, un JE qui s'écrit sans retenue, tellement plus talentueux que dans ses petits romans "de gare" qui renferment en de pseudos scénarios d'espionnage, écrits dans une alacrité de style certes, quelques scènes de beau cul, mais entrelardé(e)s — les scénarios ou les scènes, selon — de multiples citations érudites qui donnent une nécessaire épaisseur éditoriale donc mercantile pour ces fictions à la Delly* ! Madré homme de l'écrit qui, dans la quatrième de couverture, lucide à propos de son inintéressant romanesque, promeut son avant-dernière production estimée méconnue : Les voyageurs du Temps. Le dernier produit étant L'Éclaircie — selon mon usage, j'attends avant achat la parution en poche, ce qui avec notre homme, écrivain de... et employé par... ne saurait tarder.
C'est clair : je déteste et j'aime Sollers. Me demande s'il ne cherche point et cette détestation et cet amour.
Post-scriptum : À propos de Delly, qui était éditée par Taillandier, quand j'étais enfant, ma grand'mère m'envoyait à la Bibliothèque parroissiale pour emprunter à son usage ses trois "Delly" hebdomadaires. Naturellement, je les lisais aussi. Plus tard dans les structuralistes annnées 70, j'eus le projet de pornographier cette douce prolifique sentimentale romancière à l'instar d'une certaine Julienne de Cherisy qui, pornographiant Balzac, publia en 1981 aux éditions de la Brigandine une Vie secrète d'Eugénie Grandet. Sic.
* Mais ce n'est ni chez "Taillandier", ni chez "Arlequin" qu'édite Sollers, c'est... chez "Gallimard" !
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samedi, 12 février 2011
taiseux, le blogue
Entre deux quintes de toux, quelques accès de fièvre, de multiples éternuements, lectures par bribes :
Il faut écouter Glenn Gould de très près, de
préférence une fin d'après-midi d'été, devant
un paysage ouvert sur l'océan, les oiseaux, le sel.
Le vieux Bach sourit... Une mouette plane vers vous
pour une bénédiction furtive.
Philippe Sollers, Les Voyageurs du temps
Rien de bien grave. Il importe de demeurer enfoui sous la couette. Après un vin chaud.
Dommage ! De beaux nuages cavalent dans un beau ciel.
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samedi, 15 janvier 2011
« Les Modernes, et après ? »
Voilà belle manière de décentrer — ou peut-être bien recentrer — la question des PostModernes.
C'est ce qu'en janvier, offre Philippe Forest* en trois interventions aux vieux Nantais qui fréquentent l'Université permanente.
Il ouvre avec La Bruyère, au début des Caractères (1688):
« Tout est dit, et l'on vient trop tard depuis plus de sept mille ans qu'il y a des hommes, et qui pensent... L'on ne fait que glaner après les anciens et les habiles d'entre les modernes »,
poursuit dialectiquement avec Isidore Ducasse à la fin de ses Poésies (1870):
« Rien n'est dit. L'on vient trop tôt depuis plus de sept mille ans qu'il y a des hommes... Nous avons l'avantage de travailler après les anciens, les habiles d'entre les modernes.
Il prolonge avec Jacottet et Aragon qui relancent Ducasse.
Je pense qu'il ne tient pas à résoudre le problème à l'usage des manuels de littérature à venir et je m'autoriserai à dégager mes horizons de lecteur quelque peu embrumés par "anti" et "post".
Baudelaire resurgit :
Au fond de l'Inconnu pour trouver du nouveau !
Et ça me va bien, que ce soit dans le lire, que ce soit dans l'écrire : osciller de l'enthousiasme à la nostagie. Cendrars n'est pas loin.
* L'homme d'un Philippe Sollers au Seuil, de L'enfant éternel, et dernièrement du Siècle des nuages, chez Gallimard.
Post-scriptum : Hautetfort, plateforme qui héberge ce blogue, offre la possibilité de publier des textes sur un autre mode que les notes : ce sont les "Pages" ; elles se trouvent dans la colonne des rubriques, à droite de cette note et peuvent être aussi occasions de commentaires..
18:57 | Lien permanent | Commentaires (0)
lundi, 30 août 2010
adjectif, mon souci
Toutes les lectures de l'été ne furent point aussi vaines que le De l'amour de Stendhal* et L'Éducation senimentale de Flaubert ; j'ai relu L'Échappée belle de Bouvier et je suis tombé sur ce passage qui efface une tenace rancœur datant de ma classe de IVe — soixante ans de rumination — quand le "prof" d'alors m'humilia à propos d'une narration de tempête qui débordait d'adjectifs "hugoliens" : je me souviens encore avoir décrit, entre autres verbales inflations, des "gouffres d'émeraude" !!!
Adjectifs
Gobineau, avec quelques autres de ces flibustiers orientaux déjà cités, m'a ouvert la grande épicerie des adjectifs où je suis allé me servir avec tout le mauvais goût que je me souhaite.
Dans la littérature des années cinquante, temps où j'ai fait mes études, si éprise de rhétorique sartrienne ou d'austérité camusienne, l'adjectif n'avait pas bonne mine. Oh non ! Il faisait bonbonnière ottomane ou tango argentin gominé. Ce caniche frisotté troublait l'absinthe de Monsieur Teste. La belle phrase - comme on dit « une belle âme » dans les confessionnaux de province - vertueuse, sobre, forte de son seul et inéluctable sens était celle qui s'en passait le mieux. Or, il m'apparut clairement qu'à l'est de Zagreb, on ignorait tout de ces lois somptuaires et de ces édits jansénistes ; on savait, en revanche, qu'on ne peut rendre justice à la stridence d'une cornemuse, au tremblement liquide d'une flûte de Pan, à ces dégringolades chromatiques et si navrantes du « tar » (le luth iranien) sans leur accorder au moins trois adjectifs, enfoncés avec le pouce dans la phrase comme pistache dans la brioche. Gobineau ne l'oublie jamais lorsqu'il fait parler ses personnages : qu'on soit au Caucase, en Arménie, au Turkestan ou en Perse, les destins les plus modestes ou les plus malheureux sont comme soulevés et portés par un discours emphatique, fleuri, compatissant qui aide encore là où la vie n'aide plus et qui relève bien plus d'un vœu pieux et respectable que du mensonge, si mensonger soit-il.
Nicolas Bouvier
L'Échappée belle
éloge de quelques pérégrins, p. 88.
* Dans la dernière émission d'un été avec Philippe Sollers — Lire c'est entendre — celui-ci annonce donner une place très importante à Stendhal dans le prochain roman qu'il va publier. Tiens ! j'effacerai peut-être ainsi mon fiasco (!) estival...
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