dimanche, 21 juin 2009
pour refermer temporairement la geste de Myrddin VI
au solstice d'été
Le barde, le chien ; le barbet, le barde, voyageurs de l'hiver s'enfoncent dans la forêt. Toute l'eau de la mer vient frémir dans les premières branches, celles qui sont au bord de la forêt. L'écume se fait taches et lunules sur les fûts qui montent, qui montent, et le frémissement, même, cesse d'être perçu. Se présente la clairière, la trouée dans les bois : écorce et paille souple. Deux buses lentement tournoient, se poursuivent sans paraître se voir, s'éloignent et se perdent et se dissipent, se dissipent. Derrière le serré des arbres : dents de peigne sur le bord d'un chemin forestier dont le nom n'est plus qu'éclat de rouille rongeant une plaque d'émail se cachent (ou bien je l'imagine) des visages dépourvus de regard ; immobiles, ainsi que des dieux termes.
Une longue bête pousse des cris, par intervalles. « Je fais corps avec un arbre abattu, cerné par une invisible frontière à laquelle viennent se heurter les peurs du dehors. Ici se tient Merlin l'Enchanté, au centre d'une bulle d'air où rien n'a changé de Brocéliande.
L'ombre et la lumière se succèdent selon les immuables lois ; les générations en font autant ; mais ici, c'est toujours Brocéliande avec son nom de liane. Les villes se superposent et se recouvrent ; les plus anciennes ayant disparu sous la terre, près des morts. Mortes elles-mêmes dont parfois réapparaît l'ossature mystérieuse, arrachée à la lente aspiration vers le bas, vers le centre amorphe où les roches sont liquides et gaz. Mais ici, c'est toujours Brocéliande. »
« Viens, ma fée Viviane. Aurais-je retrouvé quelque sortilège ? » Car elle vient dans la maison de la forêt, la fille rousse ; dans la maison faite d'air. Elle est agenouillée ; son échine se creuse ; sa tête est enfouie dans ses coudes posés sur le sol ; elle présente ses fesses : deux globes partagés par la raie sublime où foisonne le poil bouclé. Les seins remuent doucement au-dessus du tapis de feuilles, le sang affluant aux pointes marquées d'une fossette.
Elle est extrêmement nue. La liqueur de son vagin poisse les bouclettes rousses. Lui, promène son gland gluant, énorme, sur les fesses qu'elle écarte maintenant à deux mains. Des filaments de liqueur sexuelle, il lui barbouille les fesses ; des feuilles sèches s'y collent. Il lui enduit toute la raie de leurs liqueurs mêlées. Merlin, de nouveau, possède Viviane et en est possédé.
Elle lui découvre la féerie de son cul : l'anémone de son anus, le petit pont moussu, la fente ouverte d'où coule la liqueur : Viviane de chair et de feuilles. Il enduit de salive les fesses et les seins de la femme ; il la fait se mettre sur le dos et le sperme jaillit en pluie du membre tendu. Les doigts de la femme recueillent le sperme ; elle s'en frotte les seins et le nombril ; elle le porte à sa bouche ; elle frotte les lèvres congestionnées de sa vulve du mélange du sperme et de sa propre salive. Lui, salive dans la bouche de la femme : Merlin a retrouvé Viviane. Elle crache sur la coupole du gland une salive baveuse. Elle saisit dans ses mains la verge enduite de bave, et l'enfonce dans sa chevelure déployée, constellée de feuilles : Viviane est foutue par Merlin, et de sa chair béante suinte la liqueur.
« J'ai oublié le nom de ce chemin forestier. »
Yves Elléouët
Livre des rois de Bretagne, 1974.
Quand le hasard m'a fait ouvrir L'Enchanteur pourrissant d'Apollinaire, j'avais déjà, déposé depuis quelque temps dans un dossier le texte de la note précédente, celui donc de Jacques Roubaud et ce dernier d'Yves Elléouët.
Je ne dissimule point que la sauvage crudité de ce qui se vit en Brocéliande — plus trivialement, ...ou moins savamment, en forêt de Paimpont — qui n'est que le dévoilement bien torché du rut mythique pudiquement cité dans les grimoires par des moines sans doute obsédés, mais craintifs et effarés devant si grande liberté femelle — « Beau doux ami, j'y viendrai souvent. Vous m'y tiendrez entre vos bras et moi vous. Je ferai désormais tout à votre plaisir. » Alors elle lui montra comment... — m'avait fort impressionné quand je découvris cette réécriture contemporaine de la Geste.
Le Livre des rois de Bretagne est, loin des banalités folkloriques et érudites, un torrent de mots quotidiens et fabuleux qui dit l'errance journalière d'un ancien de la Coloniale, Georges Cocaign dit aussi Troadic Cam, qui oscille au gré des comptoirs et des verres de "gwin rhu", entre le Dit d'une histoire de Bretagne qui énonce une généalogie fabuleuse, historiquement juste, de Meliaw à Conan Meiriadawc en passant par les folles chevauchées et cruelles aventures de Hoël, Judicael, Gwyomarc'h, Gurvand, Nominoë et autres, récits d'écume folle, de vents aux senteurs de varech, et les remembrances de marins et paysans retraités dérivant de bistrot en troquet et de vieilles "tout habillées de noir" :
« Non, madame Stéphan, assez de Cointreau pour ce soir.
— Ma pauvre Thérèse, heureusement que tu viens me voir de temps en temps, allez. J'ai bien envie d'une prise, mais je ne sais plus ce que j'ai fait de ma "touine".
— Tenez. Elle est derrière le Cointreau avec votre étui à lunettes. (Geste de tendre la tabatière en forme de sabot).
— Merci, Thérèse. Si, j'en prendrai encore une petite goutte. Si, si ! Ça fait du bien : ça me chauffe en descendant... Nous sommes bien seules, tu sais, et cette nuit, j'ai rêvé de mon mari, tu sais ; j'ai honte de dire. Il y a si longtemps maintenant...»
Et moi, lecteur, entre deux petits verres de lambig, ne sais plus aux deux tiers du livre qui, de Georges Cocaign ou de Troadic Cam, je suis devenu, ni, si celle qui me chevauche, se nomme ou Thérèse Cariou ou Viviane, si je suis au café-tabac des Bauches-du-Désert ou en forêt de Paimpont entre le Val sans retour et la fontaine de Barenton !
Allez savoir avec tous ces mots, ces vents et, désormais, ces insomnies et ces écrans !
Post-scriptum :
Yves Elléouët, graveur, peintre, marin pêcheur (ou l'inverse) était le mari d'Aube, la fille d'André Breton, l'Écusette de Noireuil à qui il adressait le dernier chapitre, le VII , de L'Amour fou.
Elléouët est mort deux ans après la parution, chez Gallimard, du Livre des rois de Bretagne et quelques mois avant celle de Falc'hun, son second œuvre.
Post-scriptum bis :
Je me demande souvent si ce diable de Myrddin — Marzin en gallo, Merlin en français — ne serait pas un des marins grecs d'Ulysse, qui ,déçu de n'être pas l'élu de Circé et ne comprenant goutte à la fuite de son patron, n'aurait point, désertant le vaisseau céphallénien, franchi les Colonnes d'Hercule pour, errant dans les brumes celtes, s'inventer cet Enchantement.
D'où le titre de la note précédente, que m'inspira Jacques Roubaud ! À penser que depuis vingt-huit siècles, TOUT se tient.
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vendredi, 19 juin 2009
où l'on apprend que Viviane est fille de Diane la Grecque 5
« Elle est la fille de Diane la Grecque et c'est pourquoi tu vois i i âne dans son nom. Elle vivra dans un château sous un lac, que je lui bâtirai, et c'est pourquoi il y a dans son nom ces vagues : v, v écrivent les vagues qui viennent, n, n écrivent les vagues qui s'en vont. »
Quelques jours avant de disparaître, Merlin vint faire ses adieux à Blaise. Ayant réglé quelques affaires en suspens avec le pape, il quitta Rome pour la Nortombrelande qu'il atteignit en moins d'une journée. Il dit alors à Blaise qu'il le voyait pour la dernière fois, qu'il s'en allait séjourner auprès de son amie et qu'il ne serait plus jamais en son pouvoir de la quitter et de se déplacer à son aise. « S'il en doit être ainsi, pourquoi y vas-tu donc ? » dit Blaise douloureusement. Mais si Merlin ajouta quelque chose, nous ne sommes pas près de le savoir.
Merlin vint à Viviane et ils séjournèrent longtemps ensemble. Un jour enfin ils allaient main à main, causant dans la forêt de Brocéliande, quand ils rencontrèrent un buisson beau, vert et haut, une aubépine toute chargée de fleurs. Ils s'arrêtèrent à son ombre et Merlin mit sa tête sur le ventre de la demoiselle. Et elle aussitôt commença à le caresser, tant qu'il s'endormit. Quand la demoiselle sentit qu'il dormait, elle se leva vivement et fit un cercle de son jupon tout autour du buisson et de Merlin. Puis elle commença son enchantement, tenant encore la tête de Merlin serrée contre son ventre. Ensuite elle attendit qu'il se réveille. Lui, s'éveillant, regarda autour de lui, et il lui sembla qu'il se trouvait dans la plus belle tour du monde, couché dans le plus beau des lits : « Ah, demoiselle, dit-il, ne resterez-vous pas avec moi ? jamais je ne pourrai m'évader de cette tour », et elle : « Beau doux ami, j'y viendrai souvent. Vous m'y tiendrez entre vos bras et moi vous. Je ferai désormais tout à votre plaisir. » Alors elle lui montra comment et Merlin ne sortit plus de la forteresse. Mais elle y pénétrait et en sortait comme elle voulait.
"Fille de Diane la Grecque" ? Jacques Roubaud commence bien sa réécriture sur Viviane et Merlin ! Jongleur de mythologies, il attribue adroitement à Artémis la Grecque le nom de Diane la Latine ; car le mathématicien oulipien si rigoureux n'aurait pu s'offrir, à propos de Viviane, le jeu de lettre sur le "I", les "V" et le "N". Et puis après moult copistes gallois latinisés et moines français ignares ou emberlificotés dans les mythologies celtes, grecques et latines, il y a bien de quoi perdre son Grec !
Qu'un auteur d'origine provençale et l'assumant, se confronte à la geste arthurienne ce ne peut être que décalé et plein d'humour. Roubaud ne consacrera qu'une section, intitulée CONTE, en deux chapitres à Merlin; il s'appuie certainement sur le Huth-Merlin, une adaptation du récit primitif, la « vita merlini ». L'on y voit surgir un certain Blaise dont Roubaud fait le scribe de Merlin, Roubaud se faisant lui-même tout au long de ce Graal Fiction* le lecteur et le scribe de Blaise :
Nous lisons dans le conte que Merlin aima Viviane et fut par elle endormi et enfermé; que nul homme ensuite ne le revit jamais, pas même Blaise son maître. Et, comme Blaise est le scribe du conte, comme le conte rapporte toutes les choses prédites par Merlin et par Merlin à Blaise rapportées, nous devons penser que Merlin sut à l'avance son amour pour Viviane, qu'il en connut la fin et en fit écrire les circonstances avant de se soumettre à sa destinée.
Mais rien dans le conte n'est si simple; ce que Merlin dicte à Blaise dans le livre du Graal, ce que Blaise ensuite rédige lui-même une fois Merlin disparu, n'est que ce qui arrive, se passe : le passé. Le futur ne paraît que dans les prédictions faites par Merlin exprès pour être placées dans le livre; mais jamais elles n'effleurent le futur du conte, jamais elles ne sont autres que rejointes, achevées quand le conte est écrit. C'est pourquoi l'avenir dans le conte est par essence variable, le futur y est antérieur. Puisque Blaise ne nous dit que ce qu'il peut dire, qui est ce que Merlin lui dit de dire et, quand Merlin n'est plus là, ce qu'on raconte. Blaise, sans doute, sait toujours ce qui sera, ce qui a été quand est venu le moment d'être, mais il ne peut pas tout dire : ni ce que Merlin n'a pas voulu dire, ni ce qu'il n'est plus là pour dire. Le sort de Merlin demeure ainsi pour nous dans quelque incertitude.
Avec malignité, Roubaud va ainsi tout au long de son ouvrage entremêler sa paraphrase du texte arthurien, centré surtout sur Gauvain, personnage certes non secondaire, mais non plus central de la Geste, de ses commentaires, explications et gloses sur le contenu et les structures du récit.
Il clôt son œuvre par une section six nommée Quincaillerie dont le seul mot entre parenthèses est
(Retardée).
Au lecteur de s'attarder donc dans un magasin à meubler soi-même qui doit retentir des bruits de ferraille des heaumes, hauberts et autres chausses de maille.
* Jacques ROUBAUD, Graal fiction, Gallimard, 1978.
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lundi, 15 juin 2009
Viviane et son Enchanté au tombeau 4
.... Merlin s'en alla dans les forêts profondes, obscures et anciennes. Il fut de la nature de son père, car il était décevant et déloyal et sut autant qu'un cœur pourrait savoir de perversité.
Il y avait dans la contrée une demoiselle de très grande beauté qui s'appelait Viviane ou Éviène. Merlin commença à l'aimer, et très souvent il venait là où elle était, et par jour et par nuit. La demoiselle, qui était sage et courtoise, se défendit longtemps et un jour elle le conjura de lui dire qui il était et il dit la vérité. La demoiselle lui promit de faire tout ce qu'il lui plairait, s'il lui enseignait auparavant une partie de son sens et de sa science. Et lui, qui tant l'aimait que mortel cœur ainsi ne pourrait plus aimer, promit de lui apprendre tout ce qu'elle demanderait : « Je veux, fait-elle, que vous m'enseigniez comment, en quelle manière et par quelles fortes paroles je pourrais fermer un lieu et enserrer qui je voudrais sans que nul ne pût entrer dans ce lieu ni en sortir. Et je veux aussi que vous m'enseigniez comment je pourrais faire dormir qui je voudrais.
Merlin lui enseigne ce qu'elle demande et la demoiselle écrit les paroles qu'elle entend, dont elle se servait toutes les fois qu'il venait à elle. Et il s'endormait incontinent. De cette manière, elle le mena très longtemps et quand il la quittait, il pensait toujours avoir couché avec elle. Elle le décevait ainsi parce qu'il était mortel; mais s'il eût été en tout un diable elle ne l'eût pu décevoir, car un diable ne peut dormir. A la fin, elle sut par lui tant de merveilles qu'elle le fit entrer au tombeau, dans la forêt profonde, obscure et périlleuse.
Et celle qui endormit si bien Merlin était la dame du lac où elle vivait. Elle en sortait quand elle voulait et y rentrait librement, joignant les pieds et se lançant dedans.
Voici donc la seconde version de la rencontre de Viviane et de Merlin ; c'est écrit par un jeune homme de dix-huit ans, fils naturel d'une jeune femme, fille d'un camérier du Pape — sait-on encore aujourd'hui ce qu'est un camérier du Pape ?
Inspiré directement du Lancelot-Graal, les premières pages en sont une transcription et elles peuvent paraître pleines de noirceur. Merlin est vraiment le fils de son père, un diable donc décevant et déloyal et (qui sait) autant qu'un cœur (peut) savoir de perversité.
Viviane, sous ses atours sages et courtois, une belle garce, qui dupe un Enchanteur subjugué et si peu lucide. Le château de verre (ou la bulle d'air) n'est qu'un sombre tombeau.
Bref, le commencement est plus un pastiche où un lycéen, meurtri peut-être par de premières amours un peu vachardes, règle sa misogynie adolescente qu'une recréation du mythe Merlin.
Mais à quelle source, dans quelle bibliothèque ce lycéen a-t-il puisé ce savoir ? On saura Apollinaire, grand lecteur pour survivre, de la Bibliothèque Nationale, à l'instar de l'autre grand adolescent des lettres en ce début du XXe siècle, son cadet, Frédéric Sauser dit Blaise Cendrars. Ils s'y rencontreront d'ailleurs. Mais, à dix-huit ans par la grâce de quelle boulimie de lectures, pétries dans quel imaginaire ?
L'écrit, publié en 1904 en revue, sera repris, amplifié pour être édité en 1908 avec des gravures sur bois d'André Derain. Les ajouts au mythe de Merlin sont un délicieux délire érudit d'où surgissent un premier druide, un second druide, Morgane, — la dame qui aime les jeunes gens pour leur braguette, hélas ! trop souvent rembourrée, des sphinx, un hibou, des guivres, des grenouilles, Lilith, trois faux Rois Mages, des elfes, Médée, Dalila, Hélène, l'archange Michel, un rossignolet, un ichtyosaure, Léviathan et Béhémoth, Saint Siméon Stylite, et comme l'Enchanteur n'en finit point de pourrir — il est éternellement pourrissant — auront le temps de surgir des siècles passés, d'autres encore et Énoch, Élie, le Juif errant, Empédocle, Apollonius de Tyane, Salomon et... Socrate !
Une Onirocritique fermera l'ouvrage dans une tonalité rimbaldienne ; le Surréalisme peut naître.
Des vaisseaux d'or, sans matelots, passaient à l'horizon. Des ombres gigantesques se profilaient sur les voiles lointaines. Plusieurs siècles me séparaient de ces ombres. Je me désespérai. Mais, j'avais la conscience des éternités différentes de l'homme et de la femme. Des ombres dissemblables assombrissaient de leur amour l'écarlate des voilures, tandis que mes yeux se multipliaient dans les fleuves, dans les villes et dans la neige des montagnes.
Apollinaire a échoué, pour notre heur, dans son exercice de pourrissement : Merlin peut aujourd'hui encore resurgir et faire entendre son cri en forêt de Paimpont, du côté de la Fontaine de Barenton.
À propos, à Houat, le vallon de Lenn Her Hoad était désert ce samedi 13 juin : Gweltas et Taliésin étaient sans doute partis, fuyant la foule des randonneurs, des plaisanciers et des baigneuses du week-end, s'entretenir dans les landes du Tréac'h Béniguet.
J'ai embouqué hier soir l'estuaire de Vilaine, avec un désespoir léger de ne les avoir point rencontrés. Mais d'autres très douces nouvelles m'attendaient à quai.
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vendredi, 12 juin 2009
Sant Gildas aurait accueilli le barde Taliésin 3
Myrddhin (Merlin) aurait demandé à sa sœur Gwendydd, qui devait aller en Petite Bretagne prononcer l'élogue funèbre de son époux Rodarcus, de revenir avec Taliésin qui était parti étudier près de Gweltas — Saint Gildas — en la presqu'île de Rhuys.
Je vais y penser cette nuit ou demain à l'aube en arrondissant la pointe de Grand'Mont, surplombée par si peu de vestiges de l'Abbaye de Saint-Gildas. Où d'ailleurs résida un autre amoureux— puis moine — célèbre, un certain Abélard natif du Pallet en Pays Nantais.
Mon petit imaginaire rêve plutôt d'un séjour de Taliésin invité par Gweltas en son ermitage de Houat, dans le vallon de Lenn Her Hoad, qui débouche à l'abri des vents dominants sur la grande grève de Tréac'h Gouret à l'est de l'ile.
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mercredi, 10 juin 2009
la "vita Merlini" 2
Puisque je suis parti dans la geste de Merlin, j'y vas !
Il y a deux ou trois siècles d'écrits qui dévoilent, ajoutent, recréent, brodent, glosent, commentent une histoire dont la source semble être un écrit de langue brittonne, fixant des traditions orales datant du VIe siècle, puis traduit en latin par Geoffroy de Monmouth, érudit gallois latinisant — s'inspirant lui-même d'un certain Nennius scribe du IXe siècle — qui fut dans la mouvance des ducs de Normandie, puis des Plantagenêts devenus rois d'Angleterre. L'ouvrage, la Vita Merlini, daterait de 1132. Le même érudit gallois écrira une Historia regum Britanniæ (qui développe l'histoire de Merlin en fondant ce qui allait devenir l'histoire du roi Arthur, de la Table Ronde, du Saint-Graal, francisée par Robert Wace en 1155, réécrite, par l'inévitable Chrétien de Troyes — lequel ignore et c'est aussi bien — la geste de Merlin qui sera amplifiée par Robert de Boron vers 1200.
Vers 1230, Le Lancelot-Graal — l'Estoire Saint Graal, l'Estoire de Merlin, le Lancelot propre, la Queste del Saint Graal, la Mort le Roi Artus — achève la vaste épopée arthurienne, laquelle s'est considérablement enrichie — ou appauvrie ! — des lectures très chrétiennes de scribes anonymes ou pas, moines des scriptoria ou écrivains de cour. Ce dernier ensemble semble assez cohérent et original pour laisser supposer l'existence d'un auteur, ou tout au moins d'un petit atelier unique de scripteurs.
Je n'ai pas parlé du Tristan de Béroul, de celui de Thomas, vers 1170/1190, le dernier plus conforme à l'idéologie amoureuse dominante de l'époque, ni du Peerlevaus (Perceval)
Donc, Merlin — ou en gallois « Myrddin » ou « Myrdhin », en breton « Merzhin », en cornique « Marzhin », en latin Merlinus : un homme, barde, devin ou prophète, sans doute ayant été roi — le casqué d'Excalibur, le film de Boorman me paraît juste —, né d'un homme-fée (un diable, diront les chrétiens) et d'une pucelle, fille de roi et druidesse ou nonne, selon, avec toutes interrogations et interprétations.
Donc naît Merlin. Alla de grande Bretagne en petite Bretagne, conseilla, prophétisa, tomba amoureux de Viviane et vit encore— cet an 2009, encore, si,si ! — en lieu ignoré de la forêt de Brocéliande — en pays Gallo, nous disons plus prosaïquement "forêt de Paimpont". D'où, suivant le conseil de Du Bellay, des récits qui suivront celui de Geoffroy de Bornemouth. Que voici, rédigé par un certain médiéviste, Jacques Boulenger* :
Et, ayant ainsi travaillé, il se rendit en la forêt de Brocéliande auprès de Viviane, sa mie.
Quand elle le vit, elle fit paraître une grande joie, et lui, il l'aimait si durement que pour un peu il serait devenu fou.
— Beau doux ami, lui dit-elle, ne m'enseignerez-vous pas quelques nouveaux jeux, et comment, par exemple, je pourrais faire dormir un homme aussi longtemps que je voudrais sans qu’il s’éveillât ?
Il lui demanda pourquoi elle voulait avoir cette science, et elle ne lui confessa point la raison véritable, mais,hélas! il connaissait bien toute sa pensée.
— Parce que, dit-elle, toutes les fois que vous viendrez, je pourrai endormir mon père Doynas et ma mère: ils me tueraient s'ils s'apercevaient jamais de nos affaires. Et, de la sorte, je vous ferai entrer dans ma chambre.
Bien souvent, durant les sept jours qu'il passa avec elle, la pucelle lui renouvela cette demande. Une fois qu'ils se trouvaient tous deux dans le verger nommé Repaire de liesse, auprès de la fontaine, elle lui prit la tête en son giron et, quand elle le vit plus amoureux que jamais:
— Au moins, dit-elle, apprenez-moi à endormir une dame.
Il savait bien son arrière-pensée; pourtant il lui enseigna ce qu'elle désirait, car ainsi le voulait Notre Sire. Et beaucoup d'autres choses encore: trois mots, par exemple, qu'elle prit en écrit, et qui avaient cette vertu que nul homme ne la pouvait posséder charnellement lorsqu'elle les portait sur elle; par là se munissait-elle contre Merlin lui-même, car la femme est plus rusée que diable. Et il ne pouvait s'empêcher de lui céder toujours.
Enfin, après une semaine, il la quitta tristement pour aller où il devait être, et ce fut dans la forêt de l'Epinaie aux environs de Logres.
Là, il prit l'apparence d'un vieillard tout croulant d'âge, monté sur un palefroi blanc, vêtu d'une robe noire et coiffé d'une couronne de fleurs, dont la barbe était si longue qu'elle faisait trois fois le tour de sa ceinture et, ainsi fait...
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Rêvant ainsi, Gauvain était entré dans la forêt de Brocéliande. Tout à coup il s'entendit appeler par une voix lointaine et il aperçut devant lui une sorte de vapeur qui, pour aérienne et translucide qu'elle fût, empêchait son cheval de passer.
— Comment! disait-elle, ne me reconnaissezvous plus? Bien vrai est le proverbe du sage : qui laisse la cour, la cour l'oublie!
— Ha! Merlin, est-ce vous? s'écria messire Gauvain. Je vous supplie de m'apparaître, et que je vous puisse voir.
— Las! Gauvain, reprit la voix, vous ne me verrez plus jamais, et après vous je ne parlerai plus qu'à ma mie. Le monde n'a pas de tour si forte que la prison d'air où elle m'a enserré.
— Quoi! beau doux ami, êtes-vous si bien retenu que vous ne puissiez vous montrer à moi? Vous, le plus sage des hommes!
— Non pas, mais le plus fol, repartit Merlin, car je savais bien ce qui m'adviendrait. Un jour que j'errais avec ma mie par la forêt, je m'endormis au pied d'un buisson d'épines, la tête dans son giron; lors elle se leva bellement et fit un cercle de son voile autour du buisson; et quand je m'éveillai, je me trouvai sur un lit magnifique, dans la plus belle et la plus close chambre qui ait jamais été.
« Ha! dame, lui dis-« je, vous m'avez trompé! Maintenant que deviendrai-je si vous ne restez céans avec moi?
— Beau doux ami, j'y serai souvent et vous me tiendrez dans vos bras, car vous m'aurez désormais prête à votre plaisir. » Et il n'est guère de jour ni de nuit que je n'aie sa compagnie, en effet. Et je suis plus fol que jamais, car je l'aime plus que ma liberté.
Mes sources
pour cette note
• Merlin l'enchanteur, Jean Markale, Retz, 1981.
• Les romans de la Table Ronde, tome 1, Jacques Boulenger, préface de Joseph Bédier, UGE, 10/18, 1971
reprise d'une édition Plon, 1941.
• Histoire littéraire de la France, I. Des origines à 1600, sous la direction de Pierre Abraham & Roland Desne, Les Éditions Sociales, 1971.
• à feuilleter l'estoire de Merlin.
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mardi, 09 juin 2009
Merlin versus Ulysse 1
L'ami Joachim, dans sa Deffence et illustration de la langue francoyse, ne conseille-t-il pas :
« Choisy moy quelque un de ces beaux vieulx romans Francoys, comme un Lancelot, un Tristan, ou autres : & en fay renaître au monde un admirable Iliade & laborieuse Eneïde ».
Ce sacré Apollinaire avec son cœur aussi gros qu'un cul de dame damascène m'a entraîné dans la relecture de L'Enchanteur pourrissant qui jouxtait donc les Chants de Mihyar le Damascène.
Et ce laisser-aller au courant de lectures divaguant de rayon en étagère me ramène après une trop longue absence à ces textes qu'on dit "celtiques", ou plus savamment "matière de Bretagne". L'adolescence fut bercée par Tristan et, dissimulée, Yseult. L'âge venant a lentement conduit à Merlin, et, cachée, Viviane.
Merlin, le versus celte de l'Ulysse grec ; je me vois bien dans ce recto/verso. J'avoue que le guerrier Arthur et ses chevaliers m'indiffèrent. Bien que Guenièvre dans l'amitié de ses hanches...? Et Morgane qui n'est pas si éloignée !
Du Bellay fut de bon conseil. Je ne veux pas énumérer ceux qui s'aventurèrent sur la voie proposée. J'ai dans ma musette certains noms contemporains ou presque qui me furent de bon usage pour creuser mes petits imaginaires celto-hellènes.
Et puis j'ai une image qui hanta quelques nuits d'adolescence et le souvenir du trouble avec lequel mon amoureuse d'alors me rendit l'Apollinaire par lui-même que je lui avais confié. Sans doute fallait-il peu d'audace pour émouvoir la sensualité de notre jeunesse trop catholique ?
Mais la Viviane que grava Derain pour L'Enchanteur pourrissant est telle
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