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mercredi, 27 février 2013

une phrase interrogative si anodine ?...

Quand Adam bêchait et Ève filait, où donc était le gentilhomme ? 

John Ball, prêtre paysan, exécuté en 1381 sous le règne de Richard II d'Angleterre.

 

Ce lundi-là, au milieu de l'après-midi, j'écoutais distraitement la radio quand s'insinua cette mince citation. La pensée devint rêveuse comme suspendue. L'énoncé d'une mise en problème plus rationnelle du thème qu'abordait ce Lundi de l'Histoire* effaça les points de suspension.

Du XIe au XIIIe siècle, l’Europe connut une phase sans égale de croissance et de développement. C’est alors que furent créés les paysages qui sont encore ceux de nos campagnes. Plus que le temps des chevaliers et des seigneurs ou des moines et des prêtres, ce temps fut celui des laboureurs et des vilains, dont le travail seul fut à l’origine de cette prospérité.*

Il ya quelques années que ce métier de laboureur rôde d'insistante façon quand nous abordons les histoires de notre famille. Je m'en suis donc allé chercher chez mes ancêtres. C'est bien quelque peu conservateur, faisant songer à cette anecdote qui courait dans notre milieu très chrétien à propos de ce journaliste plus conservateur encore mais fier qui répondait à un "descendant" de Godeffroy de Bouillon que lui, Louis Veuillot, "montait" d'un tonnelier.

Grâce à ma "petite sœur" et à mon "petit frère", qui depuis plus de dix ans ont entrepris des recherches généalogiques, dans une égale fierté, j'extrais de l'obscur enfouissement des registres de paroisse ou de l'état-civil deux couples d'ancêtres, le plus lointain et le plus proche, dont nous "montons" : ces Éves qui filaient et ces Adams qui bêchaient. Désormais, ils seront nommés sur la Toile.

Dans la branche paternelle, aux confins des Marches de Haute-Bretagne et du Bas-Poitou :

Pierre ANDRÉ, né le 29 août 1609 à Saint Hilaire du Bois, laboureur au village de la Pichaudière
et
Catherine LOIRET, née le 1er décembre 1618  en la même paroisse.

Dans la branche maternelle, sur les rives de Vilaine, au cœur de la Bretagne Gallèse :

Hyacinthe GILAIS, né le 13 juillet 1879, à Brains-sur-Vilaine, charpentier et barbier au bourg de Beslé
et
Marie RENAUD, née le 5 février 1882, à Guémené-Penfao, lavandière 

 

Post-scriptum : 

De cette longue lignée de laboureurs, un seul "demeure à la terre"  comme un point d'orgue : c'est Jérôme le vigneron de Belle-Vue. Il n'a pas quarante ans. Il façonne le paysage entre Sèvre et Moine et joue de ses vins comme un pianiste.


* Le temps des laboureurs. Travail, ordre social et croissance en Europe (XIe-XIVe siècle), collection “L’évolution de l’humanité”,  Albin Michel, octobre 2012, de Mathieu Arnoux.
Les lundis de l'Histoire, France-Culture, 18 février 2013.

 

mardi, 26 février 2013

des chiottes d'Héraclite au four du boulanger

Cinq ans que cette histoire de dieux dans un lieu incongru me turlupine.
Et le sourire de se relancer avec une nouvelle allusion à cette anecdote relatée par Aristote que cite dans une brève recension du Monde des Livres de vendredi passé, ce bon Roger-Pol Droit, présentant D'un pas de philosophe, bouquin récent d'un certain Michel Malherbe. Voilà que l'âtre — ou les latrines — de notre Éphésien bien-aimé devient un four de boulanger. Interprétation qui surpasse... en noblesse toutes traductions antérieures.

Bref rappel du texte d'Aristote — De partibus animalium, A.5,645 — traduit pudiquement par Michel Crubelier  :

« On dit qu'Héraclite, à des visiteurs étrangers qui, l'ayant trouvé se chauffant au feu de sa cuisine, hésitaient à entrer, dit : "Entrez, il y a des dieux aussi dans la cuisine". Eh bien, de même, entrons sans dégoût dans l'étude de chaque espèce animale : en chacune, il y a de la nature et de la beauté. »*

Traduire c'est choisir.
Le coin du feu ne me déplaisait pas ; quand j'ai découvert, par la vertu d'un traducteur très libéré, Jean François Pradeau,  que ce fameux mot grec "hipnos" qui nomme tout autant la cuisine, le foyer, l'âtre, le four,  — pouvait être aussi les chiottes, les latrines, les toilettes — qu'il y avait quelque cohérence avec l'hésitation des visiteurs à entrer, avec le chauffage d'un lieu où l'on se dénude — à Éphèse, les hivers peuvent être froids — et avec le prolongement du commentaire d'Aristote "entrons sans dégoût", j'ai fortement pensé que les toilettes — ou latrines, ou "chiottes" — m'était le terme le plus adéquat à l'harmonie des contraires affirmée par Héraclite pour énoncer fort concrètement son vécu de l'immanence des dieux. 

N'en déplaise à certains, Héraclite était un philosophe qui savait rire.

 

Je dédie cette note à Pierre Coavoux qui m'envoya en février 2008 le texte d'Aristote qui m'était alors introuvable sur la Toile. Et cet aujourd'hui même, de lui,  je reçois un courriel qui commente amicalement "mes lectures de salle d'attente". Le courriel est intitulé "Aristote (suite). À suivre donc.

Μετα φιλιας Ô Πέτρε



*Le texte d'Aristote sur le site de  l'Antiquité grecque et latine de Philippe Remacle. Ou sur Hodoï, site de l'Université de Louvain.

Ἐν πᾶσι γὰρ τοῖς φυσικοῖς ἔνεστί τι θαυμαστόν· καὶ καθάπερ Ἡράκλειτος λέγεται πρὸς τοὺς ξένους εἰπεῖν τοὺς βουλομένους ἐντυχεῖν αὐτῷ, οἳ ἐπειδὴ προσιόντες εἶδον αὐτὸν θερόμενον πρὸς τῷ ἰπνῷ ἔστησαν (ἐκέλευε γὰρ αὐτοὺς εἰσιέναι θαρροῦντας· εἶναι γὰρ καὶ ἐνταῦθα θεούς),  οὕτω καὶ πρὸς τὴν ζήτησιν περὶ ἑκάστου τῶν ζῴων προσιέναι δεῖ μὴ δυσωπούμενον ὡς ἐν ἅπασιν ὄντος τινὸς φυσικοῦ καὶ καλοῦ. 

 ΠΕΡΙ ΖΩΙΩΝ ΜΟΡΙΩΝ, V

lundi, 11 février 2013

lectures de salle d'attente

Michel Onfray est très méchant dans son pavé libertaire sur la vie philosophique d'Albert Camus ; il y parle de ce qui "traîne dans les revues crasseuses accumulées sur les tables des dentistes et des coiffeurs", page 17.

Samedi, chez mon médecin de famille qui est aussi mon voisin, les séquelles trop durables d'une complexité rhume-grippe-bronchite — ou l'inverse — m'ont obligé à une assez longue attente, n'étant qu'un parmi mes nombreux concitoyens qui éternuent, éructent, toussent, mouchent et crachent sous les pluies qui inondent nos vallées.

J'y ai donc lu passionnément dans un vieux GÉO non crasseux de 1999, retrouvant ou découvrant :

• la vallée du Dadès quelque part dans le Haut-atlas marocain — mon benjamin y fut vers 2005 ;

• la remontée en 1805/1806 du Missouri et la descente de la Columbia par deux américains, Lewis et Clark, guidés par Sacajawéa, la compagne autochtone d'un trappeur canadien-français, Toussaint Charbonneau — j'ignorais ;

• La Nouvelle-Calédonie, la luxuriante forêt, les collines érodées par l'exploitation du nickel, l'île des Pins, le bagne des Communards et, à Nouméa, le labeur humaniste de Louise Michel, la grotte d'Ouvéa et les espoirs Canaques.

Mon attente s'acheva sur le feuilletage d'un tout aussi ancien Sciences et Avenir fin 2000 qui évoquait la vie et la mort d'un vieux maître du Désert qui enchanta en mon adolescence rêveuse mes soirées hivernales dans la salle d'étude tiède de l'internat à un point tel  que je l'inventai pour de vrai cet "oncle saharien" à l'instar des oncles de Blaise Cendrars.

Quelles Méharées en ces jours de rapines, de narco-trafic, de violences, mais d'aussi douteuse "libération", écrirait Théodore Monod ?

lundi, 04 février 2013

Tombouctou, un mythe ?

J'ai failli, il y a quelques jours, titrer cette note ainsi "l'interminable livre de Livres en feu". Car dès qu'il y a la moindre explosion ou la plus grosse déflagration sur la rive droite du Niger, il est sûr que l'on brûle les précieux — toujours — manuscrits de Tombouctou. Un écran  de télévision nous avait montré quelques rayons métalliques qui paraissaient avoir été ébranlés et des casiers de même matière, vides. Mais nulles cendres  !
Et les commentaires, après l'alarme, étaient du genre :
d'un côté : « Le pire n'est pas sûr.... Ce qui est parti en fumée n'est pas l'essentiel... information à mettre sur le compte de la propagande...»
d'un autre côté : « Les manuscrits les plus importants mis à l'abri… une bonne partie de ces documents est sauvée pour avoir été soigneusement numérisée...  il y a quelques mois l’essentiel des trésors évacué vers Bamako, où ils sont désormais sous protection... 

On apprend que l'Université de Lyon, des chercheurs Sud-Africains, d'autres du Grand Duché du Luxembourg (!) ont scanné et numérisé.

La communauté internationale s'émeut, tremble, se révolte.

Les groupes armés qui ont terrorisés six mois durant les rives du Niger, tout autant pillards et iconoclastes, narco-trafiquants et preneurs d'otages, n'ont pas manqué de se dire qu'après tout, il valait mieux "faucher" que brûler. Dans quelque temps, sûr, des officines à l'usage de bibliophiles peu scrupuleux, écouleront bien quelques manuscrits certifiés "Tombouctou".

René Caillé001.jpgRené Caillé, dans les cinquante pages de son séjour d'un peu plus de quinze jours ne mentionne l'existence d'aucune bibliothèque.

René Caillé, la lecture d'enfance. Et donc mon mythe du Voyage à Tombouctou. Je ne rêvais pas de bibliothèques.

Les bibliothèques, elles me sont venues à l'adolescence avec Théodore Monod, Méharées et Chinguetti.

Pour Tombouctou, je ne me suis pas aventuré plus au nord des falaises de Bandiagara et le rêve de Chinguetti s'est arrêté à Bakel sur la rive gauche du fleuve Sénégal. Là où le héros de mon enfance avait interrompu une première fois sa tentative.


 

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