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samedi, 30 mars 2013

twitter et le sonnet

À propos de la Toile, interrogé sur les pratiques littéraires possibles, Michel Butor* répond :

« Naturellement ! Il n'y a que les poètes pour nous guider à l'intérieur de ces nouveaux territoires. Prenez Twitter. Cent-quarante caractères,  c'est une contrainte prosodique respectable, comme on a inventé celle du Sonnet au XVIe siècle. Évidemment très peu de gens sont capables d'entirer des choses intéressantes, de même que très peu ont été capables de créer des sonnets intéressants, sur les millions qui ont été écrits dans l'histoire de la littérature. »

Pessimiste, Butor. Et puis n'y auraient été créés que ceux de Du Bellay, Ronsard, Louise Labé, Marc Papillon de Lasphrise, Jean de Sponde, Abraham de Vermeil, Antoine Magne de Fiefmelin et d'autres et d'autres encore, et le sonnet d'Arvers, et le cher Gérard de Nerval, et Verlaine, et Rimbaud, sa Bohême, son Val et ses Voyelles, ces "très peu" sont encore fort nombreux : soixante-huit dénombrés dans Soleil du soleil, cette anthologie du sonnet français** de Marot à Malherbe, entre 1536 et 1630. Ajoutons toute l'effervescence du XVIIème  et la renaissance du XIXème, après l'assoupissement du XVIIIème et les prolongements contemporains, de Francis Jammes à Roubaud en passant par Apollinaire, Valéry, Aragon ou Pérec.

Twitter avec ses cent-quarante signes, n'autorisant l'écriture que d'un tercet de notre bien-aimé sonnet, serait plus dans la contrainte prosodique du haïku —bien que souvent très bref,

Fraîcheur
Au mur la plante de mes pieds nus
Sieste

 

             Basho

 

ou du tanka, cet autre poème japonais***,

Pour toi je suis sorti
Dans la lande printanière
Cueillir de jeunes fleurs
J'ai trempé mes manches
La neige tombait sans cesse

  Kôkô Tennô


Touittons donc et poètisons plus encore. Dès demain, relisons nos milliers de sonnets, le haïkou et le tenka touittés ou non !

 

 

 

*in L'invité, Télérama n°3296, du 16 au 21 mars 2013.
** en Poésie/Gallimard, édition de Jacques Roubaud.
*** Les tanka — ou brèves chansons — ont le rythme suivant : 5-7-5-7-7. Lire de Maurice Coyaud, TANKA HAIKU RENGA, Le triangle magique, architecture du verbe, aux Belles Lettres, 1996.

mercredi, 27 mars 2013

enfin passé l'âge

 

 L'âge de céder à cette consigne tintinophile  "À lire de 7 à 77 ans". Adieu à Hergé, aux pantalons de golf, au caniche, aux vocalises et aux vignettes injurieuses et pseudo-blasphématoires. 

Libre de lire, sans adjuration aucune, 

Pichard et son Ulysse, 
Crépax et son Anita, 
Fred et son Philémon, 
Hugo Pratt et son Corto Maltese.

jeudi, 14 mars 2013

un Pape argentin ?

 

Qu'en eût pensé ce mécréant de Jorge Luis Borgès qui écrivait dans L'auteur et autres textes ?

Nous avons tiré les pesants revolvers... et, gaiement, nous avons tué les Dieux. 

mardi, 12 mars 2013

s'en aille l'hiver

À peine la descendance de la "fileuse" et du "laboureur" établie*, voici qu'a surgi le "gentilhomme". Du moins quelque bâtard du dit. Dans la lignée des Mérand-Bretaudeau, celle d'Augustine Marie, ma grand-mère paternelle, l'héroïne de "La sciences des ânes"**.

Bâtard, on dira petit-bâtard comme on dit petit-fils, puisqu'il s'agit de Louis Meschinot marié à Jehanne Pélerin en 1685 à Boussay. 

J'avais souvent, dans ma petite enfance, été intrigué en entendant ce nom des Meschinot, nom qui me rejoignit au temps de mon adolescence dans les pages du manuel de littérature du Chanoine Des Granges au chapitre des Grands Rhétoriqueurs. 

Jean Meschinot, seigneur des Mortiers en Monnières, près de Clisson, maître de quelques modestes fiefs — terres arables et vignes  — qui lui permirent vivre en portant le harnois pour les ducs de Bretagne; il détestait le roi de France, Louis XI et acheva sa carrière en qualité de  "maître d'hôtel" de la duchesse Anne de Bretagne. Plus écrivassier que gentilhomme, il écrivit ces fameuses Lunettes des Princes, entre 1461 et 1465, qui furent le premier livre imprimé à Nantes en 1493 par Étienne Larchier. À lire pour paisiblement s'ensommeiller ! Mais en glanant, de fort beaux vers s'y donnent.

Fut-il le grand-père de mon ancêtre Louis ?

 

 

 Cecy m'advint entre esté et autonne,
Ung peu avant que les vins on entonne,
Lors que tout fruict maturation prent;
L'ung jour faict chault, l'autre pleut, vent et tonne,
L'air fait tel bruyt que la teste en estonne.
A nous mûrir celuy temps nous aprent,
Car, qui des biens lors n'asserre, il mesprent,
Pource qu'après hyver froit nous sourprent.
Qui n'a du bled ou du vin en sa tonne,
Au long aller son deffault le reprent;
Aussi, enfin, qui bien cecy comprent,
Cil jeûnera qui n'a fait chose bonne.
 

 

Ceci m'advint entre été et automne,
Un peu avant que les vins on entonne,
Lors que tout fruit maturation prend;
L'un jour fait chaud, l'autre pleut, vent et tonne,
L'air fait tel bruit que la tête en étonne.
A nous mûrir ce temps-ci nous apprend,
Car qui des biens lors n'enserre, il méprend (commet une erreur),
Parce qu'après hiver froid nous surprend.
Qui n'a du blé ou du vin en sa tonne,
Au long aller son défaut le reprend;
Aussi, enfin, qui bien ceci comprend,
Celui-ci jeûnera qui n'a fait chose bonne.

Jean Meschinot
Les lunettes de Princes

 

Et tant qu'à ouvrir le dictionnaire de français ancien, autant remonter de deux siècles encore et de feuilleter le roman préféré de notre ancêtre, le bouquin de Jean de Meung, le Roman de la Rose. La taille des rosiers est achevée. La sève déjà pousse les premiers bourgeons. Je crains cette froidure de ces jours-ci qui tard nous vient, mais j'ai patience.

 

 

Un baisier douz et savoré
Pris de la rose erraument ;
Se j’oi joie, nus ne le demant,
Car une odor m’entra ou cors,
Qui en gita la dolor fors,
Et adouci les maus d’amer
Qui me soloient estre amer.

 

Un doux et savoureux baiser 
Je pris aussitôt de la rose . 
Si j’en eus de la joie ? 
Que nul ne le demande ! 
Car un parfum m'entra au corps 
et en jeta la douleur hors 
et adoucit les maux d’amour 
qui d’habitude m’étaient amères.

Jean de Meung
Le roman de la Rose

 

 

 

 

 

* Voir la note du 27 février à propos des laboureurs.
**"La sciences des ânes" est lisible à droite dans "pages". Un double clic suffit.

dimanche, 03 mars 2013

un fin blogueur actuel, le Joachim

Les Regrets ont souvent été lus comme un journal ; depuis l'émergence sur la Toile de ce genre d'écrit appelé "blogue", j'ai souvent pensé que Joachim Du Bellay aurait très vite investi dans cette écriture qui rythme et les nuits et les jours, et le quotidien qui demain deviendra hier, et les morts et les amours, et les scandales et les déboires, et les pouvoirs et les révoltes.

Plus grave, mais tout autant risible que les rêts tendus ces jours derniers par une essayiste à un lourdaud pantin médiatique, s'ouvre à Rome pour la nième fois depuis la première sur les bords du lac de Tibériade une assemblée de vieillards qui se dit Conclave. Joachim, secrétaire de son cousin Jean Du Bellay, le cardinal, fut le témoin de ce Conclave de 1555 qui élit le 223e pape, un certain Paul IV Caraffa connu pour ses intransigeances inquisitoriales ; et notre déjà fort laïc poète, d'affûter sa verve satyrique et dans les idées et dans les rythmes — un joyau de sonnet à se mettre en bouche et qu'il me plaît de publier en blogue :

Il fait bon voir, Paschal, un conclave serré,
Et l'une chambre à l'autre également voisine
D'antichambre servir, de salle et de cuisine,
En un petit recoin de dix pieds en carré.

Il fait bon voir autour le palais emmuré,
Et briguer là-dedans cette troupe divine,
L'un par ambition, l'autre par bonne mine,
Et par dépit de l'un être l'autre adoré.

Il fait bon voir dehors toute la ville en armes
Crier : « le Pape est fait », donner de faux alarmes,
Saccager un palais : mais plus que tout cela,

Fait bon voir, qui de l'un, qui de l'autre se vante,
Qui met pour celui-ci, qui met pour celui-là,
Et pour moins d'un écu dix cardinaux en vente.

 Les Regrets, CXXXI