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mercredi, 28 mars 2012

"petit chat" est mort

Pour Patrik, pour Gianni

 

Je l'aimais bien, ce doux félin rouquin épicurien !

Quand on est chat on est pas vache
On ne regarde pas passer les trains
En mâchant des pâquerettes avec entrain
On reste derrière ses moustaches
(Quand on est chat on est chat)

Quand on est chat on est pas chien
On ne lèche pas les vilains moches
Parce qu'ils ont du sucre plein les poches
On ne brûle pas d'amour pour son prochain
Quand on est chat on est pas chien
On passe l'hiver sur le radiateur
(Quand on est chat, on est pas chien).

On passe l'hiver sur le radiateur
A se chauffer doucement la fourrure
Au printemps on monte sur les toits
Pour faire taire les sales oiseaux
On est celui qui s'en va tout seul
Et pour qui tous les chemins se valent
(Quand on est chat, on est chat).


Jacques Roubaud
Les animaux de tout le monde

 

Au printemps, "Coyotte" n'est plus monté sur les toits.
Je vous le dis, je l'aimais bien, ce doux félin rouquin épicurien !

 

lundi, 26 mars 2012

retour de mer

 

Quand le MAL agit un homme : des enfants morts.

 

Sur les vasières de l'estuaire, les Tadornes s'accouplent. Passée l'écluse, aux rives de la Vilaine bourgeonnent, roux, les saules, les hêtres et les peupliers.

dimanche, 18 mars 2012

la fin d'une guerre

à Jobic, à Christian,
aux femmes de paix
aux côtés de qui nous nous tenons

Ce 19 mars 1962

C'est  la veille que la radio a annoncé pour ce jour la fin des opérations de maintien de l'ordre. Ça n'aurait donc jamais été une guerre.

La guerre pour moi, elle se termina ce matin de juin 1961 quand, descendant du poste de Rhardous pour la dernière fois, quatre hommes, au milieu de la piste, m'arrêtèrent à la porte sud de Tamloul.
L'un après l'autre, ils me donnèrent l'accolade.

Tamloul.jpg

Tamloul, village de regroupement, décembre 1960


Eux et moi, depuis peu, nous nous étions écartés du sang, de la violence, du soupçon.
Aurions-nous donc commencé à rebâtir ?

N'en demeurait pas moins l'indélébile de traces  comme déchirures nocturnes.

Et c'est le premier cadavre en travers de la piste dans la nuit du Zaccar et sa puanteur infâme 
et c'est la paysanne hurlant son désespoir dans la cour de cette ferme abandonnée du Chélif
et c'est la morgue du lieutenant parachutiste, appelé, qui, devant sa bière, raconte froidement le fuyard poursuivi, abattu,
et c'est le premier sang, celui de Renaud notre "radio" et celui des trois maquisards d'en face,
et ce sont les soubresauts du corps de Hocine, adolescent "fell" prisonnier assassiné,
et c'est le ventre ouvert de Slama, le jeune harki, 
et ce sont les nuits de Tamloul dans la tension, les désirs inassouvis, les veilles incessantes,
et ce sont les cris de douleur du rebelle au genou broyé enlacé dans les barbelés du camp,
et c'est ce corps, à quelques pas de moi, qui dans la nuit s’abat, brisé dans la sonorité de pierre creuse du crâne qui heurte l’angle aigu du trottoir.

C'est dans le fracas des nuits algéroises la belle et brune rebelle du Zaccar, sa douceur, le baiser, une étreinte.


Et quelques jours après ce cessez-le-feu,
dans cette petite palmeraie au sud de l'Aurès,
ce sont, armés encore, ces hommes d'en face
nos regards étonnés qui se croisent sans haine
et sous l'olivier, le visage émacié et souriant  de Si Salah, vieux maquisard,
devenu le temps si bref des quelques pas qui me séparent encore de lui
l'homme de justice et paix

Oui, nous rebâtissons déjà. S'annoncent quelques soleils possibles, mais aussi des temps obscurs et brutaux.

jeudi, 15 mars 2012

le 15 mars 1962

Toujours extraites des pages d'un journal du temps de guerre.

Un jour de février, Chris Van Der Meulen, mon collègue, débarqua à Star-Melouk : son centre de Fort-Turc avait été plastiqué dans la nuit. Peu de dégâts, des vitres brisées : la charge avait été placée près du portail d'entrée sur la route qui menait à l'aéroport. Ça semblait bien être dans les actions un peu lâches du réseau extrémiste de Biskra où les forts en gueule se faisaient plus entendre sur les terrasses des cafés de la place Béchut que dans les ruelles de la palmeraie ou dans le labyrinthe jugé malfamé de Star-Melouk
Brégardis avait été menacé, mais, sur le même palier que lui, résidait un policier véreux. Les forts en gueule n'allaient pas attenter à la vie de l'un des leurs.

Depuis janvier, quand je m'attardais un peu trop tardivement en ville, je ne reprenais le volant de ma 2 CV qu'après avoir soulevé le capot et deux fois, je dus débrancher de méchants bricolages de bâtons de dynamite reliés à un détonateur rudimentaire qui cependant au premier quart de tour de la clé de contact, nous auraient volatilisés, Rabéa, la voiture et moi.


Le 15 mars en fin d'après-midi, ce fut plus sérieux. Je m'étais rendu à Fort-Turc pour préparer une rencontre avec le responsable de la Sidérurgie Bônoise qui accompagnait l'action de formation que nous dispensions dans nos deux Centres aux chômeurs qui avaient postulé à ces futurs emplois.


Le téléphone sonne. Chris décroche et, de suite, je perçois une voix altérée dans l'écouteur. Le visage de Chris se fige. Le téléphone raccroché, c'est à peine si Chris peut articuler un mot.
 « Ils ont assassiné nos "patrons" ! C'était Brossard, notre responsable de Batna. Il était présent à la réunion de Château-Royal. Un commando OAS !  Brossard passera nous voir la  semaine prochaine. »
Nous ne reverrons plus jamais Brossard.

Nous apprendrons quelques jours plus tard par des collègues de Constantine, les circonstances odieuses de l'assassinat.
Le surgissement brutal d'une bande armée de huit hommes en civil à bord de deux Peugeot au tout début de la réunion qui regroupe nos responsables départementaux, l'appel de six noms par ordre alphabétique :

Eymard,
Basset,
Feraoun,
Hammoutene,
Marchand,
Ould Aoudia.

Leur alignement dos à un mur d'angle, le fracas des rafales intenses, brèves, de deux fusils-mitrailleurs, les six détonations d'une arme de poing comme coup de grâce. La fuite de la bande.

En vain, Chris et moi, nous rencontrerons les délégués syndicaux des écoles et du collège de la Palmeraie pour que soit organisée une protestation silencieuse avec les jeunes sur la place Béchut. Nous ne nous faisions guère d'illusion sur cette proposition, sachant les comportements timorés de beaucoup d'enseignants métropolitains de Biskra. Seuls, le collège et deux écoles primaires de la Palmeraie, Star-Melouk et le Village-Nègre, où les écoliers étaient en totalité d'origine algérienne, observeront la minute de silence recommandée par les instance nationales syndicales et par le ministère de l'Éducation.

La haine et le mépris.

 

Le 12 décembre 2001, au ministère de l'Éducation Nationale, une stèle était dévoilée à l'entrée d'une salle nommée "Max Marchand - Mouloud Feraoun". Jean Luc Mélenchon, alors ministre de l'Enseignement professionnel disait :

Nous avons le droit aujourd'hui, nous avons la passion à présent d'y voir plus clair.
Les nôtres, décidément, ceux que la République tient pour tels, les nôtres sont ceux
qui s'aimaient et non ceux qui se haïssaient. Il en est ainsi parce que cet amour ne
pouvait faire ses liens qu'en adhésion aux valeurs républicaines.
Les maîtres de l'école républicaine ont préféré la règle de leur principe, plutôt que
les séductions de l'abandon aux enfermements de leur temps.
Sur les gouffres du temps, que la mort creuse si vite et si fort entre les êtres et les
générations, je passe le fil de la mémoire. Je vous nomme, ombres de lumière.

Max Marchand, présent !
Mouloud Feraoun, présent !
Marcel Basset, présent !
Robert Eymard, présent !
Ali Hammoutene, présent !
Salah Ould Aoudia, présent !

Vous voilà parmi nous.
La poussière des fureurs de la guerre est tombée. Et voilà que vos assassins n'ont plus de nom. Ils n'ont aucun visage qui se distingue dans la cohorte sanglante des bourreaux de tous les âges et de toutes les guerres. Vous voici, maîtres de l'école publique,
passeurs de savoirs et de savoir être. Vous êtes uniques et singuliers comme le sont les visages de ceux qui donnent la vie.
La vie!
Celle de l'esprit que le savoir construit, faisant de chaque jeune individu une
personne.
La vie!
Celle du temps profond de l'Algérie comme rive de la Méditerranée, que ponctuent
nos tombes emmêlées et nos enfants communs.

 

Post-scriptum :

Jean-Philippe OULD AOUDIA, L'assassinat de Château-Royal, Alger : 15 mars 1962 - éditions Tirésias, 1992 (avec une préface de Germaine Tillion)

mardi, 13 mars 2012

un coin de rue de l'enfance

Décidément, cette fin d'hiver tire à la rubrique nécrologique. Difficile d'aborder une enclave échappant aux nostalgies. Un vieux poète nantais et bon universitaire — mais je n'ai point fréquenté l'Université — s'en est allé hier. Me semble qu'il avait introduit René Guy Cadou dans les Lettres Modernes. La dernière fois que je l'avais croisé, c'était pour la sortie de son Nantes au cœur, rue des Carmélites, chez Siloë. Il y avait aussi une vieille dame que je n'ai pas revue depuis ce jour, elle est très, très âgée ; je parle d'Hélène Cadou, veuve de René Guy.


Au coin de la rue Scribe et de la rue Boileau
La petite femme aux oiseaux et son landau
Faisait sauter ses chiens savants enrubannés
Colombes perruches et serins
Perchaient sur ses bras minces
Et les enfants ravis faisaient cercle
Autour de cette disciple de saint François
Cette femme mystère si chère à notre cher Michel Chaillou

Yves Cosson
Et pourquoi pas la cohorte des dames du pavé nantais
Nantes au cœur


C'était au temps de guerre — toujours la guerre, n'est-ce pas ? — et j'étais un de ces enfants ravis.

Plus tard, de ces dames du pavé nantais, j'en connus une... Dans les prisons de Nantes. J'animais un atelier d'écriture et lecture dans le quartier des femmes.
C'était la Grande Nicole, dame maquerelle bien connue sur le trottoir nantais et qui purgeait une peine pour proxénétisme. Elle n'était point disciple de François d'Assise — mais le sait-on jamais ? — et n'avait pas seulement fait sauter des chiens enrubannés.
Elle et moi, avions passion commune pour l'Océan et l'île de Houat.


dimanche, 11 mars 2012

Salut ! "BlueBerry"

Giraud001.jpg

Une belle planche du Hors-la-loi.

Triple hommage à Jean Giraud, à son héros, le lieutenant Blueberry et aux Femmes.

mercredi, 07 mars 2012

tirées d'un journal de guerre, ces quelques lignes

Un certain 19 mars 1962.
Il ne s'agit pas de commémorer.
Il importe d'humblement garder mémoire vive.


Un après-midi, alors qu’en patrouille, ils traversent un bois plus dense de chênes-lièges, des ombres, une course sinueuse, des cris aigus de femmes, puis des rires d’hommes, des pleurs d’enfants. Launay et son équipe ont débusqué d’un taillis d’arbousiers deux femmes et trois gosses. Étonnante, cette présence ; le village de regroupement le plus proche est à plus de vingt bornes dans le sud au voisinage de Littré.
Les mômes ont quatre ou cinq ans, les femmes sont jeunes, les haillons qu’elles portent sont grisâtres de poussière, leur teint est terreux, elles se serrent en un cercle apeuré, recouvrant le corps des enfants. Elles sentent le charbon de bois et la fumée. Abder leur parle doucement d’une voix presque tendre ; elles demeureront deux jours dans un total mutisme, amas humain quasi immobile. 

dans la guerre.jpg


Au bivouac, elles n’accepteront que de l’eau et encore faudra-t-il boire à la gourde devant elles ; les gars donneront aux trois enfants les pâtes de fruit des rations. Il n’y aura aucune réflexion graveleuse ; Jaqez surprendra souvent leurs regards étonnés quand ils passeront près du petit groupe.
Mais que font donc ces jeunes femmes dans ces djebel déserts ? Naguère elles auraient été ces belles Berbères aux cuisses nues qui foulaient le linge dans le creux de l’oued ; la guerre a réduit leur beauté à cette peur sombre accroupie parmi les tenues léopard du commando.
Il n’y aura aucune menace de quiconque.

 

Il y a plus de cinquante ans .
Que sont ces enfants, ces femmes, devenus ?
Dans leur liberté tant douloureusement conquise.