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dimanche, 28 novembre 2010

« il faut y aller »

Poser sur la table "La traversée des catastrophes"* me ramène à deux décennies en arrière quand j'ai ouvert "Traité du désespoir et de la béatitude"**.

Un de ces deux ou trois bouquins que, à peine ouverts, vous estimez rassembler toutes les questions que vous vous posez depuis un, deux, trois, dix ans — peut-être d'ailleurs depuis seulement un ou deux jours — mais questions qui taraudent, ou expériences ou situations qui ont blessé, incisé, déchiré, mais aussi bouquins dont les quelques pages feuillettées vous ouvrent des estuaires, des horizons, qui, sans apaiser, vous font accéder à une sérénité neuve.

Sans doute faut-il y entrer avec l'incertitude de la quête et le murissement acquis dans de longs cheminements en solitude.

J'ai posé quelques balises, me suis arrêté sur quelques pages.

La mort d'autrui exige ceci : ce que l'on ne peut pas dire, il faut malgré tout parvenir à le parler. Mais alors parler pour dire quoi, si l'on ne peut pas dire la mort ? Parler d'autre chose ? Parler pour ne rien dire er pour passer le temps ? Bavarder ? D'abord oui, évidemment oui : c'est là l'expérience de tous ceux qui ont tenu la main d'un mourant aimé, souvent avec une certaine noblesse et aussi un sens profond de la dérision. Mais on ne le peut que jusqu'au point où ce n'est même plus possible, où la demande d'un « parler la mort » devient trop forte, trop insupportable, et où un déni mélancolique menace trop fortement. Et alors, arrivé à ce point, que parler ou que dire d'un dit impossible ? Dire encore la seule chose qui puisse être dite, la vie,  mais avec un autre ton et une autre douceur, parce qu'il s'agit de trouver une parole apte à énoncer la vie au sein même de cette expérience du mourir, à partir d'elle et pour elle, dans ce qui subsiste et s'affîrme de force de vie au cours de l'expérience d'une disjonction radicale entre le parler et le dire : parler la mort pour dire la vie. (p.155) 

Mais le mourir a toujours une fin qui reste encore à vivre pour celui qui ne meurt pas : un jour, l'autre meurt pour de bon... Nier la mort qui monte, refuser de la « voir en face », tant que l'autre vit encore, même d'une vie de plus en plus diminuée, est souvent la marque d'une sagesse et d'un amour supérieurs, tout comme il est sage de ne pas regarder le soleil en face pour ne pas s'y brûler sottement les yeux. Mais face à la mort effective, face au cadavre, une telle négation ne peut que s'affaisser en une dangereuse dénégation. « La » mort n'était peut-être rien pour soi, mais pas « le » mort ou « la » morte : je l'aimais jusque-là, mais aujourd hui que m'est-il, que m'est-elle encore ? (p. 196)

 

Maintenant, comme le philosophe nous y invite, « il faut y aller ». Aux dernières pages du livre, il écrira encore : 

Il faut continuer...... c'est cela vivre. Accepter la continuité sous toutes ses formes, jusqu'à affirmer la continuité du noble et du bas, du splendide et du grotesque.

 

*Pierre ZAOUI, La traversée des catastrophes - philosophie pour le meilleur et pour le pire, Coll. L'ordre philosophique, au Seuil, octobre 2010.

** André COMTE-SPONVILLE, Le mythe d'Icare, t.1 et Vivre, t.2 - Traité du désespoir et de la béatitude, Coll. Perspectives critiques, PUF, janvier 1988.


Post-scriptum :

• Un entretien dans l'émission "La fabrique de l'humain".

Deux recensions : dans le Monde des Livres du 29/10/2010 et dans le LibéLivres du 18/11/2010.

Si le bouquin n'est pas disponible en librairie, il ne faut pas être pressé ; l'appareil de diffusion géré par La Martinière est plutôt "grippé".

mercredi, 24 novembre 2010

l'ombre portée...

 

……l'ombre portée de SA mort qui chaque année s'étend sur ces jours de novembre……

jeudi, 18 novembre 2010

elle nous lisait l'hisoire sainte

 

Je devais être dans cette classe qu'on nomme actuellement le Cours Préparatoire ; j'aurai bientôt six ans.

C'était Mme Nicolas qui, chaque après-midi, au début de la classe et pendant un quart d'heure, nous lisait l'Histoire Sainte. J'écoutais dans le ravissement. Peut-être le sommeil me gagnait-il, préfigurant les lointaines siestes à venir ?

 

MmeNicolas41:42.jpg

 

École primaire des Frères de Ploermel, 1 rue Talensac - 1941/1942

 

 Plus tard, je pris sans doute des chemins bibliques qui divergent de ceux empruntés par un de mes actuels littérateurs préférés (voir la note précédente). Plus laïcs, pour être "tendance". J'ai un penchant plus net pour ce qui s'avoue "inventé" que pour ce qui s'affirme "révélé".

 

Je continue de lire et la Bible et Michon.

 

Post-scriptum : (qui a peu à voir avec la Bible, les mythologies et Pierre Michon)

Quand nous fâchions madame Nicolas, elle s'écriait : « Je vous pilerais dans mon moulin à café ». Ce conditionnel présent était sa seule violence.

 

 

 

 

dimanche, 14 novembre 2010

quand revient le religieux dans mes petits matins

Les réveils matinaux entraînent des journées de réflexions et de lectures inattendues. Ce matin j'écoutais donc à mi-chemin de son émission, Abdelwahab Meddeb et ses cultures d'Islam.


La veille, j'avais refermé, fort marri, les propos de Pierre Michon sur la littérature, Le roi vient quand il veut ; les premières sondes m'avaient assuré d'un bon voisinage — Rimbaud, Giono, Borges et même Gracq — même si je suis plus éloigné de Balzac, de Flaubert, de Proust et de Faulkner.

Mais page 324, "La Bible est mon pays" m'a peiné. Plus, irrité parce qu'il renvoie en deux ou trois pages mes chers Grecs à leurs calendes, et ce, pour son aversion platonicienne et le je m'enfoutisme qu'il proclame à propos de "l'obsession méticuleuse des Grecs pour le demos". C'est le demos qui vous lit, cher Pierre Michon, même si ce n'est qu'une infime minorité de ce demos.

Plus souterrainement, je suspecte Michon d'avoir découvert sur le tard un penchant pour le sacré, sinon pour la spiritualité, et la plus religieuse* qui soit :

La Bible s'adresse à moi en direct. C'est une parole ad hominem. Il y a ce « Tu » qui m'enjoint d'entendre et de parler. Or, ce n'est pas un être grec qui peut proférer cette injonction, ni y répondre : ce n'est ni l'âme ni le corps de la philosophie grecque, c'est la chair et l'esprit de Paul, le «vif». Le texte d'Homère est très beau, indiscutablement, mais par le fait qu'il se suffit à lui-même, il est mort : on y croit autant qu'à l'intrigue de marionnettes siciliennes. Tout à l'inverse, le texte de la Bible est à vif, il ne se suffit pas. Il est en manque de moi. C'est une affaire d'énonciation. Et cela est au cœur de ce qui me précipite quelquefois à écrire. Si quelque chose de biblique se réveille en moi, c'est que la Bible me somme d'être vivant. Comment dire ? Oui, me somme d'être l'interlocuteur de Yahvé. Dans ce dialogue entre Dieu et le « Tu » à qui il s'adresse, je suis mis en demeure d'exister, de répondre présent, de répliquer par  ma propre voix. D'écrire donc. Et la seule réponse possible  est : Israël, c'est moi.

pp. 329-330

 

Et voilà Pierre Michon, en paulinien convaincu, de vivre son chemin de Damas ! Fichtre !

Nous avons fait sans doute le chemin inverse. Lui, il ouvre la Bible, à l'âge d'homme. Moi, c'est madame Nicolas qui me l'a lue dès la Maternelle.

Je la lis encore comme je lis l'Illiade et l'Odyssée — je trouve parfois plus sens dans les pérégrinations d'Ulysse pour éclairer mes sillages — mais j'avoue, la Bible, je ne l'ai point refermée. À preuve, ce matin, j'ai ouvert le Livre des Nombres (11,32). Pour retrouver la première Marie ou Miryâm ou Mériem, sœur de Moïse et d'Aarôn.

Et cette quête parce qu'au petit matin, un lecteur chrétien du Qoran — un comble  ! —  m'a paru ébranler vigoureusement les ineffables fadeurs mariales de la catholicité. Entre autres vérités évangéliques. Le "forçage étymologique" qui suit est salubre.

Marie est une des figures du nomadisme et de l’errance. Dousse procède à cette lecture après avoir été hafêz, après avoir appris par cœur le Coran dans sa langue originelle afin d’accueillir la résonance orale de cette parole inspirée qu’il lit en la mettant toujours en relation avec la Bible ; ainsi voit-il comment agit le dissemblable dans le ressemblant, comment opère le différent dans l’identique. Alors la parole coranique est reçue comme altérité et non comme altération. Parmi les audaces de cette interprétation, nous relevons le forçage étymologique qui ensource le mot arabe de masîh (qui désigne Jésus le Messie) non pas seulement dans la racine verbale M.S.H. (qui confirme le sens de l’oint) mais aussi dans S.^.H. qui ouvre sur l’errance (sâ’h), ce qui situe le nom même de messie au cœur de la tension entre temple et désert.

présentation de l'émission du 14.11.2010 sur France Cul

Ce Michel Dousse n'est pas qu'un étonnant récitant (hafêz) du Qoran. C'est un athlète de l'étymologie et il a quatre-vingt ans.

J'en ai oublié d'aller à la messe, mais ça fait plus de trente ans que c'est le même oubli, chaque dimanche que dieu ne fait point.

Je n'ai pas oublié mes deux douzaines d'huitres du Marais Breton.

 

 

* En ces temps de "spiritualité laïque", ce n'est point redondance.

jeudi, 11 novembre 2010

garder mémoire

pour Th "ma sœur" et Lo, mon frère, qui archivent si bien les souvenirs de la tribu,

pour Célia qui, "pour l'école", me demanda naguère qui dans la famille avait fait la guerre 14-18.

 

Ne pas célébrer, ne pas commémorer, ne pas faire mémoire. Même pas me souvenir puisque je n'ai pas vécu ces temps-là.
Mais simplement garder mémoire.

Parmi la quinzaine d'hommes de cette batterie d'artillerie, le cousin de ma mère, Marcel Gilais, mortellement blessé près de sa pièce, sur la Somme, le 17 août 1918.

 

batterie_gilais.jpg

 

Un parmi les cinq ou six de mes ascendants connus dont trois ou quatre laissèrent leur peau dans la guerre.
Un qui est un nom sur un monument aux morts dans le cimetière de Beslé-sur-Vilaine.
Qui n'est qu'un nom et quelques images.
Et une tendresse quasi muette dans le cœur de sa petite cousine de onze ans.

 

Dans un cadre, puis remisées plus tard dans une boite à chaussures, quelques photos, une citation et une croix de guerre !

croixguerre.jpgcita1.jpg

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Heureux ceux qui sont morts pour la terre charnelle,
Mais pourvu que ce fût dans une juste guerre. [...]
Heureux ceux qui sont morts dans les grandes batailles,
Couchés dessus le sol à la face de Dieu [...]
Heureux les épis mûrs et les blés moissonnés.

Charles Péguy

 

Ouais, bien sûr ! Mais........... 

 

Post-scriptum : Le blogueur n'est pas un bon diariste. Il lui faut une guerre pour revenir à l'écran au sortir d'une cure bienfaisante. Des bords de Nive aux rives de Loire, il y eut pourtant les Landes aux confins du Gers, un Périgord "quercyen" chaleureux, inconnu et étonnant, un Limousin amical. Quelques livres furent ouverts. Mais il est vrai qu'au retour il n'y avait plus que “le dernier dahlia dans un jardin perdu" (René Guy Cadou). Et toujours des tas de points de suspensions...

Prenons les écrans blancs de ces premiers jours de novembre pour les points de supensions, manière de laisser la pensée rêvassante vaguer à l'infini de la Toile.

19:19 Publié dans Les graves | Lien permanent | Commentaires (0)