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samedi, 21 juin 2008

viatique pour un cabotage

Dimanche, j'embarque pour un premier cabotage estival : nous n'irons guère au-delà du Raz-de-Sein.
Ce sera un cabotage "studieux" je m'engage à achever ma chronique d' Algériennes* pour la fin de l'an et je souhaite poursuivre jusqu'à la sécession de Chabani en avril 1964.
J'emmène un mince viatique de lectures : le Livre II des Essais de Montaigne, Mars ou la guerre jugée de Alain, pour éclairer et creuser ce qui me paraît encore fort narratif dans l'évocation de ces années de merde et de feu.

J'allégerai les heures d'écriture avec le Cendrars de chez Seghers dont je compte bien publier la note dans "Poètes, vos papiers !" pour septembre.
J'avoue que je troue ma chronologie de découverte des poètes, sautant et Pessoa et Reverdy ; je les remettrai sur l'établi à l'automne.

Curieusement, je laisse sur ma table trois petits bouquins, acquis hier après beaucoup de tergiversations.
Souvent, j'hésite à confronter à des lectures universitaires des lectures qui me furent — et me sont encore — des chemins de traverse n’appartenant qu’à moi seul, inaugurées seules sans jalons autres que les premières pages et quelques lignes glanées au gré des feuilletages, qui sont peut-être mes lectures des trois derniers auteurs achevant le cycle des découvertes du siècle passé, qui me creusent et m’amplifient.
Les écrivants du XXIe m’indiffèrent, me laissent froid.

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Je lis Annie Ernaux depuis 1974, et mon commencement, ce fut Les armoires vides.
Je lis Pascal Quignard depuis 1987, et je ne sais quoi de La leçon de musique, ou des Tablettes de buis d’Apronenia Avitia m’amena à accumuler, en poche, les Petits Traités et autres minces recueils.
Je lis François Bon depuis 1990, et La folie Rabelais, Daewo ,Tumulte , respectivement, me relancèrent dans mon adolescence qui se rêvait rabelaisienne, dans mes traces vécues de culture ouvrière et dans le tohu bohu d’un monde écrit qui advient.
Ils seront, en septembre, tous trois, sur la table du retour et leurs livres dégringoleront des étagères pour les confrontations, qui, je ne le nie point, lèveront des horizons que, solitaire, ma lecture n’eût pas découverts.

J’aavoue qu’au fond du sac marin, il y aura, comme à chaque départ, un Char pour les rocs et un Saint-John Perse pour les houles.
Le sang est à quai. À chaque époque ses lesteurs.

René CHAR
Moulin premier, XXXI


Que les vents vous soient favorables !

* Quelques extraits d'Algériennes sont lisibles sur le site SPIP — rudimentaire ! — de grapheus tis

samedi, 15 mars 2008

"gueuloir électronique" et non-académicien frustré

Un bien bon numéro d'auteurs pour le Libé de jeudi 13. Comme un souffle rafraîchissant de journalisme.
De la mosaïque en sept blogues réalisée par Laure Limongi, j'extrais — que FB ne m'en veuille point — le gueuloir électronique de Claro.

Je considère mon blog comme les vestiaires d'un gymnase, avant et après les acrobaties officielles. Je m'y échauffe, m'y plie, m'y luxe, m'y foule, j'essaie des tenues que je ne mettrais pas forcément pour aller acheter des croissants, je tutoie des types qui sont plus baraqués que moi, je dépose des pièges à souris dans les casiers qui ferment mal, je monte sur les bancs, je joue avec l'interrupteur, je cite, je phagocyte, récite. Un gueuloir électronique, une carte blanche du tendre et du moins tendre.

Celui-là, je le rencontrerai en mai au Lieu Unique où il viendra échanger sur les monstruosités bien alléchantes de Mark Z. Danielewski, La Maison des feuilles et O Révolutions, qu'il a traduites de l'américain. Ce que j'en ai feuilleté laisserait le pavé Quartiers de ON ! d'Onuma Nemon* à ranger dans les bluettes d'Arlequin. Ce Claro que FB répand dans publie.net, surgit dans ma vie de lecteur trop rangé comme un vrai gosse mal élevé que j'aurais sans doute aimé devenir !

Par contre, à la page 31 du même Libé, une fin de l'Académie française par un Michel Deguy qui me semblerait mal vieillir m'a fichu en rogne. Non que la charge ne soit point allègre sur le pouvoir déclinant de celle que Richelieu inventa pour que l'ordre régnât sur les mots. Et puis cet "philosophe, poète" a commis un Tombeau de Du Bellay et dans Actes un chapitre sur Sappho qui valent bien qu'on lui supporte souvent et ailleurs l'emploi de gros mots — dans l'article-ci : épidictique... engkômiastique — et des volutes syntaxiques si savantes que le lecteur y perd et son grec et son latin et... son français.
Mais là, il pratique l'allusion vicieuse, à la manière des très bourgeois lettrés qu'il dénonçait jusqu'alors, en bordure d'un machisme de vieux con :
... Cette idée qu'on doive trouver à l'Académie les écrivains les plus notoires du temps (voire les plus géniaux) est une fumée. L'Académie n'est pas faite pour ça et d'autant moins que le principe de parité abonde maintenant les possibles : que de dames d'œuvres dont je n'ouvre pas la liste, que je tiens cependant à la disposition des lecteurs !

Comment devrai-je m'adresser à monsieur Deguy** pour qu'il mette cette liste à ma disposition ?

Pas digne d'un "philosophe, poète", ça !

* Onuma Nemon est aussi dans publie.net
** Ce que je souffrirai ! Dans deux ou trois ans, quand parvenu à mon quarante-septième Seghers, le n° 226 de la collection "Poètes d'Aujourd'hui", je présenterai "Michel Deguy" par... Pascal Quignard ! Comment en 1975 était-il possible de "vendre" un tel jargon ? Ma crainte de ne pas être dans la course me l'avait fait pourtant acheter ! Une perle de la sémantico-sémiologico-psychanalytico-linguistique d'alors. La Terreur règnait sur les mots et ce n'était point une invention de Richelieu.
Je vous donne rendez-vous.

mardi, 13 novembre 2007

Camus à propos du bouquin de Berger sur Char

Centenaire René CHAR

Cabris, le 25 février 1951

... J'ai lu rapidement avant mon départ, pour le laisser à Francine qui me le demandait, le livre de Berger. C'est bien qu'il ait été fait, le choix des poèmes est efficace. Je regrette peut-être que Berger vous ait parfois paraphrasé, dans sa prose, au lieu de conduire le lecteur pas à pas. Il s'agissait de vous traduire en langage critique, non de vous répéter. Après tout, la poésie c'est vous. La prophétie, c'est vous.
Je le comprends d'ailleurs. Certaines œuvres, si on sait les aimer, il est impossible de s'en défendre, d'inventer pour elles un nouveau langage. Elles ne sont grandes que parce qu'elles ont créé leur propre langage et démontrent par là qu'elles ne pourraient être, ni parler, autrement. Au reste, Berger a réussi l'essentiel, faire comprendre la signification présente, et décisive, de votre œuvre.
Albert Camus


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Il s'agit bien du n°22 de la collection Seghers "Poètes d'aujourd'hui". L'exemplaire que j'ai date du second trimestre 1953 : la linguistique n'est pas encore à l'œuvre dans l'approche critique des poètes, même si l'essai de Georges Mounin, Avez-vous lu Char ? est paru en 1946.
Je ne pense pas que cette démarche soit déjà dans le projet éditorial de Pierre Seghers : « Rapprocher les poètes de leur public ».

Quand je feuillette les bouquins de la collection, je ressens bien la critique de Camus : la langue du poète imprègne celle du commentateur :
Charbonnier, qui pourtant rompt la charte éditoriale, avec Artaud, René Micha avec Jouve, Soupault avec Lautréamont, Théophile Briant avec Saint-Pol-Roux, Manoll avec Cadou sont plus dans la paraphrase identitaire, le commentaire chaleureux que dans la démarche critique que souhaite Camus. Même beaucoup plus tard, en 1975 : il suffit de feuilleter le Michel Deguy par Pascal Quignard.
Je reviendrai sur quelques-uns quand j'aurai mené à bon port mon projet de parcourir les cinquante et deux Seghers qui m'attendent sur l'étagère des Poètes d'aujourd'hui. J'en suis encore à Pierre-Jean Jouve, le seizième précédant Pessoa et... Reverdy — celui-là, j'appréhende vraiment, il va me falloir me faire "aider" !

Pour celles et ceux qui souhaiteraient lire ou... relire les quinze bouquins déjà présentés, il suffit de cliquer dans la catégorie "Poètes, vos papiers !" : toutes les notes.
Moi-même, c'est clair, je n'y échappe point à l'imprégnation et du poète et de son commentateur !

jeudi, 04 octobre 2007

Je continue de m’instruire

Voilà enfin achevée la seconde rénovation de la Basse Bouguinière ; le peintre a enlevé ses échelles et autre échafaudage.
Une année aura été nécessaire, mais ce qui vient d’être fait nous mènera bien encore aux trente ans qui s’annoncent — je ne doute de rien quant à ma longue vieillesse !

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la Basse Bouguinière, 30 ans après sa première rénovation

Le jardin a rétréci, mais la “librairie” a un bel escalier et je continue de m’instruire.

Avant-hier, inscription à l’Université Permanente, dans les locaux des anciens Chantiers de la Loire, près des grandes Machines Nantaises - vous avez bien entendu parlé des suites de Royal de Luxe, de l’Éléphant, des Anneaux de Buren, d’Estuaire 2007 et du Hangar à bananes, d'où de trop beaux jeunes gens, hélas, partent, ivres, se noyer en Loire.
Naguère — enfin, jadis — pour moi, il y avait “le” Pont-Transbordeur, et là où le père construisait des bateaux, le fils vient y faire du Grec.*

Je me suis promis une meilleure assiduité. Enfin ! l'an écoulé, j’avais quelques excuses : un trou béant en place du vieil escalier, des bâches plastiques sur les rayons de livres, l’inaccessibilité au “ Bailly” et le petit “Mac”, sa LiveBox et son imprimante descendus dans la salle de séjour.

Donc, du Grec et un soupçon — six séances — d’approche architecturale autour du Palais de Justice, le nouveau, celui de Jean Nouvel et du Passage Pommeraye, l'ancien, de Jean-Baptiste Buron et Hippolyte Durand-Gasselin : le XIXe et le presque XXIe siècle confrontés !
Et puis, pour persévérer dans les lieux branchés — parfois le petit Nantais du marché Talensac se demande ce qu’il vient y foutre — l’Université Pop’ (sic) du Lieu Unique (l’ancienne biscuiterie LU) et ses cours de littérature contemporaine gérés par Bruno Blanckeman de l’Université de Haute-Bretagne, un homme à la belle gestuelle un tantinet ecclésiastique, à la diction fort précieuse, aux “hein !” subtilement glottés, qui renvoie dos à dos Tzvetan Todorov qui déplore la disparition de la littérature, et les tenants de la Littérature-Monde — Le Bris, Rouaud et les Antillais qui “claironnent la vitalité retrouvée” de cette même littérature, Blanckeman, lui, se contentant d’habiller de mots neufs — littérature consentante/littérature résistante — le vieux, très vieux, conflit entre bonne et mauvaise littérature, tout en faisant glousser les belles vieilles rombières du Lieu Unique, — j’en suis un des vieux fourbes —, sur "Alexandre Nothomb et Amélie Jardin, sur Max Réza et Yasmina Gallo" (à moins que ce ne soit Alexandre Réza, Amélie Gallo, Max Nothomb et Yasmina Jardin, je ne sais plus ! À votre guise !) et les retours "polnarefiens"de littérateurs "qui montrent leur vécu à tous les passants" (sic).

Bref ! Un beau menu avec Didier Daeninck, Jean-Marie Gustave Le Clézio, Jacques Jouet, Linda Lê, Olivier Rolin, Assia Djebar, Pierre Guyotat et quelques autres... un bref passage de Pascal Quignard qui s’était abstenu, l’an dernier et... un “arrêt sur ouvrage” d’un certain Mark Z. Danielewski traduit par un non moins incertain Claro...
De quoi satisfaire mes plaisirs de lutte contre l’érosion de la langue, de déconstruction et reconstruction des formes, de confrontation à l’obscur, “le tâtonnement expressif” de mon “éveilleur d’échos” de la semaine dernière, Michel Chaillou, homme toujours en avant, “pas encore mort, pas encore très âgé et pas trop souffrant”, dirait le professeur Blanckeman.
Assia Djebar et Pierre Guyotat, qui viendront nous rendre visite, m’auraient largement comblé et le professeur ci-dessus cité est, au-delà de son brillant, un homme de littérature fort perspicace !
Suffirait que notre bon professeur de Grec ancien, plus qu’excellent helléniste, veuille mettre un peu plus d’andragogie (pédagogie des adultes, vue du Québec)) dans sa méthode pour que je puisse me dire :
« Décidément, je m’offre une belle année. »

* Affirmation dite et redite...

lundi, 30 octobre 2006

je n'aime guère...

Je n’aime guère ces grandes “araignées d’eau” qui font route sur la Guadeloupe. J’ai un penchant pour les monocoques, les gros et les moins gros.
Cependant la plus grande estime pour tous ces marins : les fous de vitesse et les amateurs de lenteur.
La Route du Rhum 2002 a trop vite été rangée aux profits et pertes. Cette fois, ils sont partis dans un temps de demoiselle.
Que cette météo les accompagne jusqu’aux alizés !

Je suivrai, malgré tout, parmi les “araignées d’eau”, celle de Thomas Coville, parce qu’il a dit avoir emporté à son bord, comme lecture, Saint-John Perse.
Mêler les grandes houles et les vastes versets procurent en bouche une ivresse aussi certaine que les accélérations dans les surfs.

Lecture d’Albucius, pour la rencontre du 8 novembre avec Pascal Quignard . Mais comme une déception, après Carus et les Tablettes de buis d’Apronenia Avitia,, l'ouvrage sent un peu trop le procédé d’érudit et il est loin d’avoir la minceur incisive des Tablettes et de certains des premiers Petits traités.
Je n’ose parler de ma énième tentative de lecture de l’étude qu'il propose de l’œuvre de Michel Deguy en 1975, chez Seghers. Les yeux m’en tombent. Entre Tel Quel et Critique, les proses critiques de cette décennie oscillaient entre jargon et ésotérisme structural...
J'échappe au naufrage par la vertu d'un long chapitre d’Actes que cite Quignard sur Sappho et sa “sonorité éolienne”.


Maison toujours en rénovation ; “librairie” quasi inaccessible, malgré l'échelle de meunier.
Sans doute serait-il bon d’être en mer ?
Noémie et Célia sont agitation bruissante et souriante quand, au jardin, les dahlias jouent au “dernier dahlia dans un jardin perdu” de Cadou.

dimanche, 22 octobre 2006

« le livre, »

sur la RadioWeb de France Cul, Les chemins de la connaissance, Pascal Quignard et Michel Melot

sur cet "objet sans essence" (Quignard)

sur nous, lectrices et lecteurs : "On peut séparer les représentations des lecteurs en deux : les lecteurs vertueux et les lecteurs pervertis."(Melot).


À écouter avec nos livres tout alentour.
La voix que j’avais entendue venant du ciel
medium_2915543100.4.jpgme parle de nouveau derrière moi et dit:
« Va-t’en, prends le volume ouvert dans la main du messager debout sur la mer et sur la terre. »
Je m’en vais vers le messager. Je lui dis de me donner le petit volume.
Il me dit: « Prends et dévore ceci. Il rendra ton ventre amer,
mais dans ta bouche, il sera doux comme du miel. »
Je prends le petit volume de la main du messager et je le dévore.
Il est dans ma bouche comme du miel, doux.
Mais quand je l’ai mangé, mon ventre devient amer
.

Découvrement de Iohanân, X, 8-10
(l'Apocalypse de Jean)
traduit par Chouraqui

lundi, 02 octobre 2006

l'une pisse, l'autre chie... et c'est beau !

Plus poliment :
« L'une urine, l'autre défèque », mais c'est moins beau !

En me préparant à suivre un atelier de quatre soirées autour de Pascal Quignard, au Lieu Unique* — un peu pour apprendre et beaucoup pour échanger —, j'ai rouvert La Frontière. Il me fut aisé de faire remonter à ma mémoire un autre auteur, deux peintres et une photographe.
Je ne commente point. Cependant, cet moment trivial dans l'un et l'autre récit est un événement fondateur qui détermine le parcours à venir du héros, sinon de l'héroïne !


Le hasard voulut qu’il vit une jeune femme qui s’approchait en hâte dans l’obscurité. Monsieur de Jaume se cacha aussitôt derrière un grand camélia.
La femme s’approcha des feuillages d’un laurier et s’accroupit soudain dans un grand bruit de jupes froissées. Elle tourna un visage anxieux vers la façade intérieure du palais et Monsieur de Jaume reconnut aussitôt que c'était Mademoiselle d'Alcobaça qui s'était accroupie.
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Elle releva davantage ses jupes en poussant un soupir.
Le visage de Mademoiselle d'Alcobaça rayonnait. Les seins et le front rond étaient dorés. Les cheveux noirs se répandaient sur ses épaules et se relevaient ensuite vers le cercle de perles blanches qui les retenaient. Ses lèvres étaient deux taches de rouge et formaient elles-mêmes un arc de cercle tandis qu'elle poussait une part d'elle qui retombait sur la terre.
Monsieur de Jaume resta dans l'ombre du camélia alors que Mademoiselle d'Alcobaça se redressait et rajustait l'apparence de sa robe. Son esprit ne put plus se défaire de ce spectacle qu'il avait surpris. Il prit conscience que la petite enfant qu'il avait connue était devenue une femme, que ses fesses étaient très belles et robustes et qu'il la désirait.

Pascal Quignard, La Frontière, 1992

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J'entendis venir de loin une voiture lourde, à petit train ; je me cachai et me tins coi : le plein soleil frappait la route et j'étais là dans l'ombre à regarder cette route au soleil, pas plus haut que la terre, invisible. A dix pas de moi et de mes porcs dans la lumière de l'été un carrosse s'arrêta, peint, chiffré, avec des bandes d'azur ; de cette caisse armoriée jaillit une fille très parée qui riait, elle courut comme vers moi ; elle m’offrit ses dents blanches, la fougue de ses yeux ; toujours riant elle se suspendit à la limite de l'ombre, résolument me tourna le dos, un interminable instant elle se campa dans ce soleil marbré de feuilles où flambèrent ses cheveux, ses jupes d'azur énorme, le blanc de ses mains et l'or de ses poignets, et quand dans un rêve ces mains se portèrent à ses jupes et les levèrent, les cuisses et les fesses prodigieuses me furent données, comme si c'était du jour, mais un jour plus épais ; brutalement tout cela s'accroupit et pissa. medium_pisspic.jpgJe tremblais. Le jet d'or au soleil sombrement tombait, faisait un trou dans la mousse. La fille ne riait plus, tout occupée à serrer haut ses jupes et sentir d'elle s'évader cette lumière brusque ; la tête un peu penchée, inerte, elle considérait le trou que cela fait dans l'herbe. La défroque d'azur lui bouffait à la nuque, craquante, gonflée, avec extravagance offrant les reins. Dans le carrosse, dont la porte peinte battait encore un peu tant la pisseuse l'avait allègrement poussée, il y avait un homme accoudé, en pourpoint de soie défait, qui la regardait. Il avait autant de dentelles à son col qu'elle en avait aux fesses...

Pierre Michon, Le Roi du bois, 1996


Le premier tableau est de Rembrandt,
la photographie de Sophy Rickett — elle fut exposée, il y a quelques années, au Musée des Beaux-Arts de Nantes —, (je la pose là, comme un contre-point ),
le second tableau est de Picasso.


* Les cours de l'Université Pop'littérature seront diffusés sur la radio web de France Cul, dans "Les sentiers de la création".
Les ateliers autour de Quignard auront lieu les 11,18, 25 octobre et 8 novembre 2006.

dimanche, 04 décembre 2005

De la "vie secrète" au "cul de Judas"

Vendredi, tellement obnubilé - ce n’est guère sérieux pour un lecteur - par le prix des QUIGNARD(s), que j’en ai oublié le bandeau de la Une du Monde des Livres.

À gauche :

Antonio Lobo Antunes
Rencontre avec le grand romancier portugais à l’occasion...

À droite :
Pascal Quignard
Pas moins de six volumes de l’auteur de « Vie secrète »....


Et pourtant, elle m’a frappé, cette Une, accotant les deux auteurs qui depuis dix ans, m’ont enfin désappris la lecture du roman traditionnel. L’un, l’Ibère lisboète, par le tumulte symphonique de ses monologues infinis, l’autre, par la concision de ses fragments. Dans l’un, de la nécessité de me couler de longues heures dans un fleuve charriant l’immondice et la beauté. Dans l’autre, le né normand devenu ermite bourguignon, du luxe de ne m’accorder que de brèves minutes pour cueillir l’essentiel souvent sensuel, parfois cruel, toujours érudit d’un moment, d’un paysage, d’un corps.

Bref, il y est des vendredis fastes du Monde des Livres où je renoue avec “mes” auteurs, n’en déplaise à certains grognons des blogues qui donnent , par l’envie qui suinte de leurs écrits, raison à ces journalistes médiatiques tout aussi envieux décriant la blogosphère et les humbles écrivants que nous sommes. (Aller entendre sur le blogue non envieux du Désordre à la date du 27 novembre).

En cette époque de remémorations confuses et superficielles, quand on sort du Tombeau pour cinq cent mille soldats de Pierre Guyotat, on peut farouchement plonger dans Le Cul de Judas, La splendeur du Portugal et Le Retour des Caravelles de Lobo Antunes. On resurgit dans la colère de Césaire ! C’est fort, beau et rinçant pour la mémoire. Je n’ai pas lu Exhortations aux crocodiles, ce serait peut-être un titre utile pour certains jeunes historien(ne)s du colonialisme. De toute obédience

dimanche, 09 janvier 2005

Lire, mais aussi écouter et lire à nouveau

Dans le serpent d’attente de la Folle journée, j’écoutais France Cul. Ah ! ces nuits ! Une voix haut perchée - un homme ? une femme ? - qui parle d’un dénommé Joubert. J’aime bien ces écoutes du hasard où se dévoilent, au fil des minutes, les thèmes, les personnages, l’interviewé et son interviewer. Suspens des savoirs : le "google" de l'écoutant balaie les souvenirs pour tenter l'identification.

Cette nuit de vendredi à samedi, donc : Parler en prose et le savoir. C’est Sipriot qui s’entretient avec Jean Guitton. On est dans le "naguère" : le ton radiophonique, l'expression orale sans faille, l’affirmation des idées, des valeurs ; ça semble vieillot, suranné, passé de mode. Mais se glissent beaucoup de subtilités délicates. Et Guitton s’en retourne plus loin encore jusqu’à un certain Joseph Joubert... Accroissement du raffinement.

Une heure qui a effacé la nécessaire patience de la file d’attente et les premières risées d’un vent de suroît.

Et en ce dimanche sombre de janvier, quand Le pavé dans la mare s'exerce sur la symphonie n°6 de Schubert (France Mu), cette facilité inouïe de la Toile, qui évite le report à plus tard d'une recherche en bibliothèque, pour savoir qui est Joubert Joseph...

Sans avoir été un lecteur assidu de Guitton, même au temps de mon catholicisme d’adolescent, je dois dans mon autodidaxie une fière chandelle au vieux philosophe qui publia en 1951 Le travail intellectuel, sous-titré conseils à ceux qui étudient et à ceux qui écrivent.

Il y parle des cahiers de chevet qui me renvoient à la notion du blogue et du travailleur en cellule qui me fait reprendre l’expression de Pascal Quignard sur l’entrée en anachorèse.

D’ailleurs, je me demande si, depuis Les petits traités (1990), et peut-être même avec des bouquins précédant ceux-ci, Quignard n’est pas à situer dans une archéologie des blogues de lecteurs.

Post-scriptum
À propos de ces auteurs "rares, tel Joseph Joubert, j'attends avec impatience l'intervention de Michel Onfray sur Saint-Èvremond, mardi 11.

jeudi, 06 janvier 2005

Des rites du lecteur

Dès le retour à la maison, ils ont été disposés en pile, là-haut, sur la table de la “librairie” gorgée de soleil. J’ai ouvert la fenêtre et entre la douceur hivernale de nos pays d’Ouest.
Au sortir du cours de grec ancien - nous avons “tiré les Rois”, “Bel olivier” offrait le Muscadet de la Chapelle-Basse-Mer, j’apportais la brioche couronnée de chez Bonnin, toute fraîche de la nuit, - je suis passé chez “Coiffard”, rue de la Fosse.

Depuis un certain temps, je “tournais” autour de deux ou trois titres, et Noël ayant été généreux en d’autres petits bonheurs : whisky “single islay malt” , Ran en dvd, le Sahara noir et blanc en images, je n’avais plus à craindre de doublons.

J’ai trouvé facilement l’Éthique de Morin, les Conversations de Borges et Sabato. J’eus plus de mal avec quartiers de on ! et j’écorchai le nom de son auteur qui serait presque un palindrome ou même la négation de tout nom, Onuma Nemon. La libraire m’a regardé, interloquée. J’eus beau lui dire qu’il y a trois semaines, il était là dans les parutions premières, mais que ça ne m’étonnait guère qu’il n’y soit plus... Renvoyé sans doute au second rayon ? Nous avons consulté “Électre” ; dans “Verticales”, nous allions forcément trouvé ce nom qui est nom sans nom ; nous avons trouvé “quartiers de on !”, le titre, et l’auteur nous fut donné par surcroît.

La cueillette n’était point achevée ; traversant la Fosse, je suis allé parcourir les rayons des “poches”. Ébène de Ryszard Kapuscinski me tentait depuis plus d’un an ; je n’ai précédé cet homme en Afrique que de deux ans ; le tout récent apaisement - jusqu’à quand ? - au Soudan m’a incliné sur le rayon le plus bas quand, voisins, se sont offerts à mes yeux les tomes II et III du Dernier Royaume. Ce n’était point prévu, mais je m’étais bien juré quand Quignard reçut le Goncourt d’avoir l’attente patiente jusqu’à la parution en poche ; en octobre, il y eut Les Ombres errantes, voilà Sur le jadis et Abîmes.
Oui, je sais, s’offrent, en repassant de l’autre côté de la Fosse, et ce depuis deux ou trois jours, Sordissimes et les Paradisiaques. Mais je retarderai de deux ans s’il le faut le plaisir de lire les Quignards “nouveaux”; depuis Les tablettes de buis d’Apronenia Avitia, mes “Quignards” s’alignent en poche sur un rayon : c’est une règle qui n’est point toujours... d’économie ! Vieille passion adolescentes pour les "poches".

Voilà ! C’est ainsi que depuis ce midi, ils sont là, à attendre en pile sage. Et dans la cuisine, je m’affaire au rangement de la vaisselle, à la mise en ordre des journaux et revues - du tri à faire -, je rince des bouteilles, je sors au jardin, je ramasse les branches que les bourrasques d’hier ont brisées. Des voisins bavardent dans le parc proche, je vais les saluer, le soleil adoucit l’humidité de l’herbe, je pense aux arbres fruitiers qu’il va me falloir faire tailler, je traîne mes sabots. De droite, de gauche.

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Sur la table, là-haut, la pile doit être en plein soleil. Je retarde le moment.

Le premier feuilletage, l’entrebaillé des pages, un mot par-ci, par-là, un paragraphe de-ci, de-là, la quatrième de couverture, la table des matières, l’achevé d’imprimer* - plus d’imprimatur, ni de nihil obstat, dommage parfois, naguère, double était le bonheur des lectures "à l'index" - encore des mots. La paume de la main sur le lisse de la couverture, le pouce qui fait chuinter/chanter la tranche des feuillets. Noms, noms propres, de lieux, de femmes, d’hommes, des phrases, encore des mots, des gros mots... des mots inconnus !

Le lecteur pose ses balises.

Tout à l’heure, stylo en main, entr’ouvrir et sur la page blanche de garde, apposer, l’ex-libris à ma manière, tous livres étant en cet endroit marqués du lieu et de la date de prise de possession.

À plat, sur la table, sur une étagère, sur un coin de meuble, dans la chambre, la cuisine, sur le manteau de la cheminée, aux ouatères, dans l’escalier, posé sur une chaise, sur le guéridon de l’entrée, près du petit ordinateur.
Ailleurs !
Mais jamais écorné, ni taché. Épousseté parfois. Jamais oublié - le drame de celui qui fut prêté et n’est jamais revenu !
Dans une heure, un jour, un mois, un an peut-être, le livre va être ouvert.

Commence l’aventure.


* La chose imprimée de François Richaudeau, aux éditions Retz : la référence pour s’assurer de l’exactitude des termes techniques concernant l’écrit en tous ses états. Pour les non-professionnels.