lundi, 23 juin 2014
mort d'Hélène
À peine refermés les bouquins de Cadou, quand furent notées les cents et plus occurrences du Bleu dans ses textes, voici que le quotidien local annonce ce matin :
La poétesse Hélène Cadou n'est plus.
Elle venait d'avoir 92 ans.
Elle est partie retrouver son René Guy,
le poète de Louisfert disparu à 31 ans.
Ces soixante-et-un ans d'écart ne sont que datation ratée.
Entre lui et elle, il n'y a qu'un immense printemps au dernier jour duquel peut-être se sont-ils re-joints — joints à nouveau.
Il s'en était allé le 21 mars, elle n'est plus, le 21 juin. C'est bien l'écart d'un printemps, n'est-ce pas ?
Cette HÉLÈNE du règne végétal.
Ma mère, très soupçonneuse des poètes que je lisais, m'avait avoué, feuillettant le bouquin de Manoll : « C'est une très belle femme. » Je n'ai jamais avoué à ma mère bien aimée qu'il y avait grande ressemblance de beauté entre Hélène Cadou et elle.
Cette HÉLÈNE du règne végétal.
Qui confiait dans un entretien *
« Mais écoutez, parce que c'était Cadou ! Il m'a donné la parole, ça c'est une vérité.
C'est extraordinaire de pouvoir dire ça, qu'on rencontre quelqu'un qui vous donne la parole. Je me suis mise à parler, spontanément. Et il avait ce pouvoir là. Il m'a apporté la vie... Il m'a redonné la vie, il m'a donné le jour...Je suis née deux fois.»
Qui écrivait dans Le Livre perdu :
À terme
il suffira d'une buée
D'une petite chose
Poignante
Comme
Un pan d'écharpe
Sur Ton épaule
Pour y loger
Notre amour
Quand la terre
Tombera dans la fosse.
Naguère dans un pan de cet immense printemps, lui, Cadou avait écrit à cette HÉLÈNE végétale :
Tu étais la présence enfantine des rêves
Tes blanches mains venaient s'épanouir sur mon front
Parfois dans la mansarde où je vivais alors
Une aile brusquement refermait la lumière
J'appelais je disais que vienne enfin la grande
La belle la toujours désirable et comblée
Et j'allais regarder souvent à la fenêtre
Comme si le bonheur devait entrer par là
Ce fut par un matin semblable à tous les autres
Le soleil agitait ses brins de mimosa
Des peuplades d'argent descendaient la rivière
Les enfants avaient mis des bouquets sur le toit
Aussitôt que je vis tes yeux je te voulus
Soumise à mes deux mains tremblantes à mes lèvres
Capable de reprendre à la nuit son butin
De fleurs noires et de vénéneuses caresses
Tout le jour je vis bleu et ne pensai qu'à toi
Tu ruisselais déjà le long de ma poitrine
Sans rien dire je pris rendez-vous dans le ciel
Avec toi pour des promenades éternelles.
17 juin 1943
Longtemps j'ai souhaité maintenir l'énigme de ce ovale féminin esquissé.
Et si c'était bien le visage de cette femme qui s'en est allée l'autre soir, que la terre n'a pas encore recouvert ?
À vous mes ami(e)s, d'ici le prochain printemps.
*Entretien avec Luc Vidal dans le film d'Emilien Awada, René Guy Cadou ou les visages de solitude
18:17 Publié dans Cadou toujours, Les graves, "Poètes, vos papiers !" | Lien permanent | Commentaires (1)
mercredi, 18 juin 2014
l'odeur des lys m'a mené à la langue bleue
Au fond du jardin, est une bouillée de lys. Un matin de la semaine passée, leur parfum m'a fait ouvrir mes "Cadou".
Pourquoi n'allez-vous pas à Paris ?
— Mais l'odeur des lys ! Mais l'odeur des lys !
— Les rives de la Seine ont aussi leurs fleuristes
— Mais pas assez tristes oh ! pas assez tristes !
Je suis malade du vert des feuilles et de chevaux
De servantes bousculées dans les remises du château
— Mais les rues de Paris ont aussi leurs servantes
— Que le diable tente ! que le diable tente !
Mais moi seul dans la grande nuit mouillée
L'odeur des lys et la campagne agenouillée
Cette amère montée du sol qui m'environne
Le désespoir et le bonheur de ne plaire à personne
— Tu périras d'oubli et dévoré d'orgueil
— Oui mais l'odeur des lys la liberté des feuilles !
Le diable et son train
Hélène ou le Règne Végétal
Et des lys, je me suis réembarqué dans les mêmes "Cadou" pour une quête du "bleu".
J'avais entrepris naguère une recherche des occurences du "sang".
Mais depuis ce colloque de mars dernier où je me suis fermement ennuyé, me traînait cet air de la Lettre à des amis perdus, mise en chant par Julos Beaucarne — je n'aime guère Cadou chanté — mais cette fois, le Julos m'a séduit avec ces deux versets.
et j'ai traduit diverses choses
en langue bleue que vous savez
Il y aux murs de la maison des encres de Nicléane, je souhaitais les légender en miens mots. Et de lys en langue bleue, c'est Cadou qui me revient.
"Mon" Cadou donc que je relis dans la lenteur, la sensualité, les larmes qui me lavent le regard, irrépressible mémoire de la fin d'adolescence.
Ce banc du Jardin des Plantes, il y a soixante années, quasi jour pour jour, après un échec à l'oral de la première partie du baccalauréat pour une sinistre "colle" algébrique, l'attente de la "micheline" pour Ancenis et ces deux lignes, dans un prospectus de Seghers, comme une langue entendue pour la première fois :
Je prends dans mes deux mains vos deux mains qui s'éteignent
Pour qu'elles soient chaudes et farineuses comme des châtaignes
Quand la braise d'hiver les a longtemps mûries.
Quelques jours plus tard, ce sera la première fille dans mes bras sous Liré, à l'extrémité d'un cul-de-grève de Loire, dans l'ombre bleue des léards
Cadou donc avec ses vins noirs, ses lampes, ses "femmes en cheveux" — j'aime — ses "bleus", ses lilas et mes lys.
Il me faudra, bien sûr, légender les encres bleues de Nicléane.
(Elle) avait dans sa veste un godet de ciel bleu
Des images marines
Forges du vent, 1938.
16:05 Publié dans Cadou toujours, les autres... arts | Lien permanent | Commentaires (1)