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dimanche, 21 février 2016

un festival à reculons, et puis....

J'y allais vraiment à reculons à ce Festival Cable#9 qui en est donc à sa 9e année et que j'avais jusqu'à ce février 2016 totalement ignoré. Sans doute trop "in" et anglophile en ses éditions précédentes — c'est le dépliant de la Maison de la Poésie et l'annonce d'un concert "Gesualdo Madrigaux pour 5 guitares" au Lieu Unique qui m'ont rendu plus aigü le regard. Je choisis donc le "I am setting in a hotel room", pour écouter ce que pouvait me dire dans une chambre de l'Hôtel Pommeraye un homme qui, se disant poète, écrit à propos de son œuvre, entre autres, ceci :

Ces fragments, qu'il monte et lie, configurent un ensemble abusivement stable et non moins propre à laisser béant, parmi les mots, dans l'intervalle entre eux, dans le silence et le blanc, du vide indéfini. Il est par là question d'ouvrir à la rupture du rapport d'appartenance du texte à son genre, de l'écriture à son auteur, et du livre à lui-même.

Dans le hall de l'hôtel, suivant scrupuleusement les consignes du dépliant publicitaire — Présentez-vous à l'accueil pour vous voir attribuer de manière aléatoire la clé de l'une des chambres investies par un artiste pour 10 à 20 minutes : courtes performances, diffusions, concerts, surprises de chambre pour 1 personne uniquement —  j'eus la chambre de repli que j'avais envisagée, la 108,

Depuis plus d’une vingtaine d’année, à l’écoute du paysage et de son environnement, Eric La Casa* interroge la perception du réel et élargit la question du musical aujourd’hui. Par son approche esthétique de la prise de son, et par ses processus in-situ d’écoute, il crée des formes (d’attention) qui active notre écoute et renouvelle notre relation à l’espace.

Les 30 minutes de notre rencontre m'ont fait sortir rasséréné ; j'ai oublié mon poète abscons ; Éric La Casa, "l'artiste" de la chambre  108, m'avait proposé deux écoutes : le boogie-woogie** d'un train qui m'a balancé dans la Prose du Transsibérien de Cendrars et une valse automobile à deux temps ; nous avions partagé nos lectures communes — le Paysage Sonore de Murray Schafer,  le Traité des objets musicaux de Pierre Schaeffer— évoqué nos écoutes anciennes — Luc Ferrari, ses Presque rien des années 60/70 et sa Promenade Symphonique dans un Paysage Musical ou Un jour de fête à El Oued en 1976 ; La Casa poursuit avec rigueur et passion les travaux entrepris par Schaeffer et Ferrari ; je me suis souvenu d'une bande magnétique enregistrée sur mon UHER 4000 avec un vieux micro Bayer, le nec plus ultra des années 70 ; j'avais recueilli, lors d'une session "Musique et Sons" à Marly-le-Roi, les bruits — non, les sons — du chantier naval du Confluent à Morecourt sur les rives de Seine ; je les avais agencés en sept séquences :

Séquence I : arrivée sur le chantier
Séquence II : Le siffleur à la perceuse
Séquence III : Sur l'eau et au bord
Séquence IV : Paroles d'ouvriers
Séquence V : Compresseur et gargouilles
Séquence : VI Duo pour deux machines
Séquence VII : Remembrances d'un vieux batelier,

j'avais nommé le tout Symphonie pour un Chantier de Batellerie.

Je suis sorti de l'hôtel par la rue Boileau, descendu la rue Crébillon, ré-écouté "MA" ville, un orphéon jouait Place Royale et il y avait encore des CRS, casqués, masqués, bottés, boucliers haut-levés, ils bloquaient l'Allée d'Orléans, ils m'ont laissé passer, quelques paysans manifestaient paisiblement, cours des Cinquante-Otages, leurs grandes affiches placardées à même le sol humide.

Oui, je ré-écoutais ma ville, ré-inventais son espace ; l'avertisseur sonore des tramways tintinnabulait dans le petit crachin qui n'avait cessé depuis le matin. Les.................... qui bloquaient l'Allée d'Orléans s'étaient évanouis.

Je me suis promis d'être plus attentif à l'annonce du Festival Cable#10 en 2017.

J'étais heureux.

 

 

 *Le site d'ÉRIC LA CASA et sur YouTube.  Il intervient aussi sur France Cul.

**Le terme « boogie-woogie » vient d'une image se référant au rythme très caractéristique des trains (tadam...tadam....tadam...). Ce bruit vient des roues du train qui passent avec un petit à-coup d'un rail à un autre (les jointures étant très sommaires). Or les essieux sont groupés par deux au sein d'un bogie (boogie en anglais), supportant le wagon, d'où la double percussion répétitive (définition sur wikipédia)

Nota-Bene : je suis parfois trop héllénisant ou...latinisant, selon ; mais le dépliant du festival est d'une anglophilie surabondante et indigeste :

Festival CABLE#, something for everybody. Enjoy !

mercredi, 17 février 2016

justesse de Quignard

quignard001.jpg

 Quand Quignard se mêle de n'être plus abscons — ce qu'il est parfois à longueur de lignes — il peut être, hellénisant,  d'une fine justesse : ainsi citant Plutarque, dans la Gloire des Athéniens *, il mène, dans la dernière Note du livre ci-contre, une réflexion sur peintres — ζωγράφοι, zôgraphoi — et écrivains (aèdes, poètes, historiens ?) — λόγοι, gens du verbe — à propos de l'histoire en se centrant sur les deux participes du verbe "devenir, s'accomplir" : le participe présent, γινομένας, devenant, s'accomplissant, et le participe passé, γεγενημένας, étant devenus, s'étant accomplis.

ἃς γὰρ οἱ ζωγράφοι πράξεις ὡς γινομένας δεικνύουσι, ταύτας οἱ λόγοι γεγενημένας διηγοῦνται καὶ συγγράφουσιν.
Les peintres montrent les événements comme s'accomplissant, les historiens les racontent et les écrivent comme s'étant accomplis.

Il ajoute de suite :
L'Histoire, c'est la mort qui crie.

 

Cette courte publication est annoncée étant la transcription d'une conférence sur la peinture antique rédigée en sept notes. Il est à remarquer que le titre "Sur l'image..." reprend une forme  dont Plutarque use fréquemment pour titrer ses œuvres.

N'est-ce point l'aigu dilemme de ces jours que nous vivons, nous mortels du XXIe siècle, entre l'image et le mot :

L'image voit ce qui manque.
Le mot nomme ce qui fut.

 

 

 * PLUTARQUE, Œuvres morales, Si les Athéniens se sont plus illustrés à la guerre que dans les lettres, III.
Quignard condense avec belle vigueur en Gloire des Athéniens le titre du traité du Grec.

La couverture du bouquin est "sortie" d'une fresque de Pompéï montrant Merméros, l'un des enfants de Médée, jouant aux osselets.

lundi, 15 février 2016

une belle nuit

Achever la journée d'hier sur l'idée d'une communauté de solitaires de Quignard, les ruines de Port-Royal, les baraques de son lycée du Havre et la tasse à café que le musicien Giacomo Meyerbeer offrit à son arrière-grand-père, Julien Quignard, organiste de Saint-Pierre d'Ancenis et inaugurer l'aube de ce jour en écoutant Michel Zink commenter une pastourelle de Marcabru à laquelle il ajoute une chanson d'aube, non à l'adresse d'une gracieuse bergère, mais à celle d'une rustique, sinon grotesque, porchère, permit, entre ces quelques siècles de distance, une courte nuit de profond sommeil.

 

mercredi, 03 février 2016

l'altérité en "confidence partagée"

Mon cœur est pareil au cœur de l’arbre. Les phases de croissance ne modifient pas sa texture initiale. Les rencontres fondamentales sont là intactes depuis le début de la vie. Je me souviens des amours d’enfance, aux rives de Vilaine, amoureux de la fille du boucher et de celle du boulanger.

L’autre, sa rencontre.

Bongouanou, quatre mille habitants habitants, à égale distance entre Abidjan et Bouaké. L’école installée par la mission catholique. Ici le directeur de l’école publique est noir. Pas de concurrence entre nous… par équipes de foot interposées, peut-être ? Je suis le Blofouô, Le directeur Blofouô : l’étranger venu des brumes en Agni.
J’enseigne, pas vraiment à la manière « ton ancêtre le gaulois », non, j’essaie des trucs différents. Ce samedi après midi, je me déplace pour voir… rechercher des enfants pas encore scolarisés.  Je marche dans un entrelacs de cours et de cases. Chaque groupe familial possède ses cases avec plusieurs cours les séparant. Ici on parle Agni, mais je ne me débrouille pas encore. Mes élèves de fin d’étude primaire vont me l’enseigner. Et puis, nous chercherons ensemble et dans leur langue à passer de l’oralité à l’écrit.
Je marche, le sol craque, le soleil… peu de vent, c’est tranquille, les chiens me suivent.
« Que fait ton garçon… il va à l’école ? » et c’est ainsi de case en cours.
 Éduquer…VRP Blofouô pour la maison Jésus.
AMA me regarde prospecter. Aînée du chef de la Terre elle dirige le groupe des jeunes filles du village. Elle sait la danse et sa voix perchée là-haut indique aux autres les changements, la nuance. À chacune le moment venu, le pas à adopter, le chant à déclamer.
AMA me regarde et je ne le sais pas, elle me fait face à présent frôlant le beige de la chemise contournée. Les deux doigts conjoints portés à sa bouche réclame la Gauloise, je lui offre la cigarette demandée. Regards échangés au moment où elle se retire de l’allumette que mes mains entourent. Elle sourit en dégustant la première taffe, et s’éclipse au cœur d’une odeur d’allumette craquée. Le gris du tabac m’enfume laissant entrevoir l'ample balancement de ses hanches. Elle part en fumée, se retourne pour à nouveau s’étourdir du caporal supérieur. Adossée au mur de la case elle me fixe… Coup de foudre. Sa beauté entêtante nourrit durant plusieurs jours mes craintes et mes envies. Pas facile à gérer… nous ne nous parlons pas, nous nous mangeons, attirés physiquement l’un l’autre. AMA n’est pas Mousso, comme ces jeunes célibataires offertes aux coopérants. Sa beauté me fascine, je vais avoir vingt ans et vis ici une enivrante secousse amoureuse, la première. Pour AMA, pareil… coup de foudre réciproque. Notre histoire se construit au fil des jours…
Un grattement à la porte de ma case me réveillera une nuit. AMA mandate un jeune émissaire pour colporter son envie et le souhait de me rejoindre. Je ne suis pas acclimaté. Le noir de sa peau m’impose une douce et respectueuse retenue. Je ne suis pas encore acclimaté à cette proximité. Nous ne ferons pas l’amour tout de suite. Sa beauté me fascine et nos frissons impriment mille instants inoubliables. Ce métissage nous comble trois années. Nous évoquons l’enfant… Et plus rien… Survient l’Algérie… la mobilisation, je quitte AMA. Une seule correspondance tempère l’inconsolable déchirure…  "Tu pars, je suis heureuse… j’ai ton visage dans mes mains".

 

 

Bouguenais, 27 Octobre 2008


Un récit réécrit par Jean Louis LE VALLÉGANT,
pour les "Confidences Sonores Partagées" à Bouguenais en octobre 2008
ré
ajusté par celui qui fut le jeune "Blofouô".


Après la représentation de "P'tit Gus",
lors des Voix Bretonnes, au Château des Ducs,
le samedi 30 janvier 2016.