mercredi, 03 février 2016
l'altérité en "confidence partagée"
Mon cœur est pareil au cœur de l’arbre. Les phases de croissance ne modifient pas sa texture initiale. Les rencontres fondamentales sont là intactes depuis le début de la vie. Je me souviens des amours d’enfance, aux rives de Vilaine, amoureux de la fille du boucher et de celle du boulanger.
L’autre, sa rencontre.
Bongouanou, quatre mille habitants habitants, à égale distance entre Abidjan et Bouaké. L’école installée par la mission catholique. Ici le directeur de l’école publique est noir. Pas de concurrence entre nous… par équipes de foot interposées, peut-être ? Je suis le Blofouô, Le directeur Blofouô : l’étranger venu des brumes en Agni.
J’enseigne, pas vraiment à la manière « ton ancêtre le gaulois », non, j’essaie des trucs différents. Ce samedi après midi, je me déplace pour voir… rechercher des enfants pas encore scolarisés. Je marche dans un entrelacs de cours et de cases. Chaque groupe familial possède ses cases avec plusieurs cours les séparant. Ici on parle Agni, mais je ne me débrouille pas encore. Mes élèves de fin d’étude primaire vont me l’enseigner. Et puis, nous chercherons ensemble et dans leur langue à passer de l’oralité à l’écrit.
Je marche, le sol craque, le soleil… peu de vent, c’est tranquille, les chiens me suivent.
« Que fait ton garçon… il va à l’école ? » et c’est ainsi de case en cours.
Éduquer…VRP Blofouô pour la maison Jésus.
AMA me regarde prospecter. Aînée du chef de la Terre elle dirige le groupe des jeunes filles du village. Elle sait la danse et sa voix perchée là-haut indique aux autres les changements, la nuance. À chacune le moment venu, le pas à adopter, le chant à déclamer.
AMA me regarde et je ne le sais pas, elle me fait face à présent frôlant le beige de la chemise contournée. Les deux doigts conjoints portés à sa bouche réclame la Gauloise, je lui offre la cigarette demandée. Regards échangés au moment où elle se retire de l’allumette que mes mains entourent. Elle sourit en dégustant la première taffe, et s’éclipse au cœur d’une odeur d’allumette craquée. Le gris du tabac m’enfume laissant entrevoir l'ample balancement de ses hanches. Elle part en fumée, se retourne pour à nouveau s’étourdir du caporal supérieur. Adossée au mur de la case elle me fixe… Coup de foudre. Sa beauté entêtante nourrit durant plusieurs jours mes craintes et mes envies. Pas facile à gérer… nous ne nous parlons pas, nous nous mangeons, attirés physiquement l’un l’autre. AMA n’est pas Mousso, comme ces jeunes célibataires offertes aux coopérants. Sa beauté me fascine, je vais avoir vingt ans et vis ici une enivrante secousse amoureuse, la première. Pour AMA, pareil… coup de foudre réciproque. Notre histoire se construit au fil des jours…
Un grattement à la porte de ma case me réveillera une nuit. AMA mandate un jeune émissaire pour colporter son envie et le souhait de me rejoindre. Je ne suis pas acclimaté. Le noir de sa peau m’impose une douce et respectueuse retenue. Je ne suis pas encore acclimaté à cette proximité. Nous ne ferons pas l’amour tout de suite. Sa beauté me fascine et nos frissons impriment mille instants inoubliables. Ce métissage nous comble trois années. Nous évoquons l’enfant… Et plus rien… Survient l’Algérie… la mobilisation, je quitte AMA. Une seule correspondance tempère l’inconsolable déchirure… "Tu pars, je suis heureuse… j’ai ton visage dans mes mains".
Bouguenais, 27 Octobre 2008
Un récit réécrit par Jean Louis LE VALLÉGANT,
pour les "Confidences Sonores Partagées" à Bouguenais en octobre 2008
ré
ajusté par celui qui fut le jeune "Blofouô".
Après la représentation de "P'tit Gus",
lors des Voix Bretonnes, au Château des Ducs,
le samedi 30 janvier 2016.
10:55 Publié dans "Poètes, vos papiers !" | Lien permanent | Commentaires (0)
Les commentaires sont fermés.