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lundi, 23 février 2015

Inutile de chercher l'intrus

Pour le périple aux rives de Garonne, j'avais glissé dans ma besace de lecture deux "poches : d'Assia Djebar, L'Amour, la fantasia, pour une relecturede Pascal  Quignard, Les désarçonnés, pour la continuité plutôt ardue d'une lecture entamée au printemps 2014.
En ex-libris sur la page de garde où je note depuis plus de soixante ans le lieu et la date d'achat, j'avais ajouté après lecture du chapitre I, "Irai-je jusqu'au terme de ce dernier royaume ?" J'y suis encore... tanguant entre répulsion pour les moments de cruauté sur l'avant de ma barque et fascination toujours étonnée pour l'érudition gréco-latine sur ma poupe.

Voila que Le Monde des Livres m'a titillé avec La naissance de la philosophie par un italien qui m'était inconnu, Giorgio Colli. Abruptement, ce qu'il décrit et argumente est ceci : quand naît la philosophie "écrite" avec un certain Platon, s'efface l'oralité de la sagesse - oser écrire la sagesse oraculaire ? - des Héraclite, Empédocle et autre Parménide.

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Et puis voici, comme un retour à l'envoyeur, que Noémie ouvre la curiosité de son aïeul, lui confiant son plaisir de lire l'Eldorado de Laurent Gaudé. Les réticences de l'aïeul à propos des romanciers d'aujourd'hui s'atténuent.
Faut-il encore faire le bon choix ? dans les invites de la table du libraire agenais s'affirmera sans hésitation Pour seul cortège parce que c'est la mort d'Alexandre, l'empire qui se fissure, les reines éventrées, le retour incertain du cadavre vers la mer Égée, la cohorte des pleureuses et parmi elles, Dryptéis, celle qui fut l'amante de Héphaistion et sans doute d'Alexandre. Courent tout au long des pages les noms des lieutenants d'Alexandre : Ptolémée, Lysimaque, Kleistos, Antigone, Léonnatos, Néarque, le nom des reines et des filles de roi, Sisygambis, Roxane, Stateira.

Du fond de son corps monte un nouveau spasme, plus terrible que les précédents. Ses muscles se figent. Il ne peut plus respirer. Il sent la douleur rayonner dans chaque nerf. Il est en feu. Il se renverse en arrière, le dos cabré, le visage blême et il cède. Il est temps de mourir.

Les pleureuses s'avancent lentement dans leur robe de deuil et Dryptéis maintiendra le souffle de l'empire.

Le retour aux lectures d'enfance se fit, hier, lors d'une foire aux Livres à Buzet-sur-Baïse. De tout : La semaine de Suzette, Bécassine, Dubout, les Talliandier avec les Delly et les Max du Vieuzit, jusqu'à la Bibliothèque Rose Illustrée : Le général Dourakine m'a été cédé pour 5 euros.
De suite j'ai vérifié. Je n'avais rien oublié de la fessée subie par Madame Papofski

lundi, 09 février 2015

poursuivre le chant de Fatima Zohra Imalayen

en merci à Gérard, Noëlle, Bénédicte

 

Dans le soleil, dans les nappes de sang, dans le gémissement de la femme violée, dans la plainte de l'exilée, dans le sourire tenace de l'écrivaine, continuer de faire entendre le Chant d'Assia Djebar.

 

Un garde sous les cerisiers
regarde
Le soir qui descend dans la sombre vallée


Des faces derrière du fil barbelé
s'effacent
Dans le sable que chasse midi de juillet


Un sanglot entre deux barreaux d'acier
longe
Le songe de nos longs jours d'été


Un cri dans les flammes de la forêt
a lui
Dans la nuit aux lueurs étoilées


Les douves dans les ruines d'un palais doré
recouvrent
Le chant d'un homme écartelé


L'anémone et la fleur d'amandier
parent
Le front d'un masque ensanglanté


Un garde décapité
regarde
Le soir qui descend dans  la sombre vallée.

SOUS LES CERISIERS
1964

dimanche, 08 février 2015

merci à Fatima Zohra Imalayen dite "Assia Djebar".

Comme un silence blanc autour des textes
de cette Femme

et en ligne d'horizon proche
Mouloud Feraoun, Kateb Yacine,
dans un plus lointain
Taos Amrouche, Jean Sénac,
Boualem Sansal,
Albert Camus

 

Ma poésie n'est que murmures
Voix de rouge-gorge ou son de cuivre
Fuient mon masque arabe troué
Même quand je tisse quelques mots français
Je retrouve mon langage étranger.

1967.

 

Cet extrait des Corps enlacés
comme une vaste métaphore
de mon entrée dans une "algérianité" que j'ai l'audace de revendiquer.

 

   Est-ce au cours de cette descente vers la mer ou le lendemain, dans un des camions du convoi, sous la pluie..., qu'un certain Bernard se confie à celui qui fera le récit de ces jours d'El Aroub, et évoque ce qu'il n'oubliera plus?...

  La veille du départ, en pleine nuit, Bernard sans armes rampe sur les genoux et les coudes, passe dans le noir entre deux sentinelles, progresse, tâtonne dans le village, jusqu'à ce qu'il trouve une ferme au toit à moitié effondré, à la porte presque entièrement arrachée.

  — Là, avoue-t-il, dans la journée, une jolie Fatma m'avait souri ! Il se glisse sans frapper. Il doit être une heure trente du matin. Il hésite dans le noir, puis gratte une allumette : devant lui, une assistance féminine, recroquevillée en cercle, le regarde ; presque toutes sont de vieilles femmes ou le paraissent. Elles sont serrées les unes contre les autres ; leurs yeux luisent d'effroi et de surprise...
   Le Français sort de ses poches des provisions en vrac, qu'il distribue hâtivement. Il va et vient, il rallume une allumette; ses yeux qui cherchaient rencontrent enfin « la jolie Fatma » qui avait souri. Il la saisit aussitôt par la main, la redresse.
   Le noir est revenu. Le couple se dirige au fond de l'immense pièce, là où l'ombre est de suie. Le cercle des vieilles n'a pas bougé, compagnes accroupies, sœurs du silence, aux pupilles obscurcies fixant le présent préservé : le lac du bonheur existerait-il?...
   Le Français s'est déshabillé. « Je me serais cru chez moi », avouera-t-il. Il presse contre lui la jeune fille qui frémit, qui le serre, qui se met à le caresser.
   « Si l'une des vieilles allait se lever et venir me planter un couteau dans le dos ? » songe-t-il.
   Soudain, deux bras frêles lui entourent le cou, une voix commence un discours de mots haletants, de mots chevauchés, de mots inconnus mais tendres, mais chauds, mais chuchotés. Ils coulent droit au fond de son oreille, ces mots, arabes ou berbères, de l'inconnue ardente.
   « Elle m'embrassait de toutes ses lèvres, comme une jeune fille. Imagine un peu ! Je n'avais jamais vu ça!... A ce point-là! Elle m'embrassait! Tu te rends compte?... M'embrasser ! C'est ce petit geste insensé surtout que je ne pourrai oublier ! »

  Bernard est retourné au camp vers trois heures du matin. A peine endormi, il sera réveillé en sursaut : il faut quitter le village à jamais.


   Vingt ans après, je vous rapporte la scène, à vous les veuves, pour qu'à votre tour vous regardiez, pour qu'à votre tour, vous vous taisiez. Et les vieilles immobilisées écoutent la villageoise inconnue qui se donne.
   Silence chevauchant les nuits de passion et les mots refroidis, silence des voyeuses qui accompagne, au cœur d'un hameau ruiné, le frémissement des baisers.

 

Troisième partie : LES VOIX ENSEVELIES
Quatrième Mouvement
Les voyeuses
   Corps enlacés
pp. 293-295.

 

 

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J'ai libéré le jour
de sa cage d'émeraude
comme une source vive
il glissa de mes doigts.

J'ai libéré la nuit
de la tombe de l'onde
comme un manteau de pluie
elle retomba sur moi.

J'ai libéré le ciel
de son lit d'amarantes
dans un éclair d'orgueil
il s'envola en roi.

J'ai lancé le soleil
sur la scène du monde
l'ombre était si profonde
qu'il devint hors-la-loi.

POÈME AU SOLEIL
1956

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 et aux confins
Ibn Khaldoun

 

 Post-scriptum : Les deux poèmes sont  tirés  de « poèmes pour l'algérie heureuse", un mince recueil édité par la Société Nationale d'Édition et de Diffusion d'Alger, acquis dans une librairie à Bou Saada, le 2 novembre 1977.