jeudi, 18 janvier 2007
Chronique portuaire de Nantes XXXVII
Paul Legrand abordant Nantes au XVIIIe siècle, le siècle d'or de son port, siècle des Corsaires, mais aussi des Négriers, prend soin de préciser dans son introduction à propos des Négriers :
« Il faut bien l'avouer,— quelque pénible qu'en puisse être l'aveu,— c'est dans la Traite des Nègres, dans le Commerce du bois d'ébène, que Nantes a trouvé la source première de sa prospérité, a développé son esprit d'entreprise et d'initiative, et a puisé sa fortune et celle de ses habitants.
Nous n'avons nullement l'intention de défendre ce trafic, pas plus d'ailleurs que celle de l'attaquer ; la défense en est impossible, quant à l'attaque, elle a été trop copieusement faite pour que l'on puisse lui fournir des armes nouvelles. »
Il ajoute à propos des Corsaires :
« Que Nantes s'efforce de jeter un voile sur ses Négriers, faute de pouvoir les effacer de son histoire, c'est d'une très sage politique ; mais qu'elle englobe ses corsaires dans la même réprobation et cherche à les noyer dans le même oubli, ce n'est plus que de l'ingratitude en même temps que de la maladresse,
Et l'on comprend d'autant moins le mépris affecté par certains Nantais pour nos corsaires, que ce sont précisément leurs faits d'armes qui remplissent les pages les plus belles de notre histoire ; celles qui, seules, peuvent faire oublier nos hontes en les couvrant du rejaillissement de leur gloire. »
Dont acte.
Du Commencement du XVIIIe Siècle à la Révolution
1702. — CORSAIRES NANTAIS EN 1702.
Le 2 juin 1702, la Biche, fine frégate corsaire nantaise de 60 tx., 10 can.,6 pier., et 67 h. d'équipage, sortait de la Loire sous le commandement du capitaine Jean Saupin, ayant comme second René d'Arquisade, futur Maire de Nantes (1735-1740) (1).
Le 23 août, elle terminait une croisière des plus fructueuses en amarinant la MARIANNE, de Bristol, dont la vente produisit 16.084 livres 13 s. 2 d.
Le 7 juin de la même année, la frégate corsaire de Nantes, le Valincourt, de 80 tx. et 95 h., capitaine Jacques Hays, s'emparait de I'UNION, d'Amsterdam ; puis, le 14 juin, du vaisseau le MOUT, et enfin, le 18 juillet, de la TOURTERELLE, de Philadelphie,
Le 27 août, le Saint-Jean-Baptiste, cap. de Kersauson, reprenait sur un Flessinguois, le Saint-Pierre, de Nantes, capturé quelques jours auparavant ; et ce dernier navire, de 200 tx., 20 can. et 51 h., reprenait la mer sous pavillon français le 20 septembre.
Le 27 du même mois, le corsaire nantais la Bonne-Nouvelle tombait aux mains des Anglais à la sortie de la Loire, après un combat acharné dans lequel elle perdit son capitaine et presque tous ses officiers.
Enfin, la même année, le corsaire nantais le Duc-de-Bourgogne amarinait l'Anglais VITESSE (2).
1703. — LE CORSAIRE LE "DUC-DE-BOURGOGNE" ET LE CAPITAINE JEAN CRABOSSE.
Le 21 juillet 1703 sortait de la Loire, toutes voiles dehors, le corsaire le Duc-de-Bourgogne, rapide et élégant vaisseau « basty à Nantes », de 130 tx., 16 can., 4 pier., 80 mousquets et 128 h,, sous le commandement du capitaine Jean Crabosse.
Le 9 août il amarinait la MARIE-DE-BEDFORT, un Anglais de 100 tx., aux flancs bourrés de fin tabac de Virginie, Deux jours après, il croisait deux frégates de Nantes : la Dryade, cap. Graton, et la Nymphe, cap. du Goujon ; et prenait, de concert avec cette dernière, un bâtiment de 60 tx. dont ils se partageaient la cargaison. Le 17 août, le Duc-de-Bourgogne ayant continué seul sa route, tombait au milieu d'une flotte anglaise de onze vaisseaux, devant laquelle il prenait chasse ; un gros vaisseau de 20 can., I'ESPÉRANCE, de Londres, se détacha de la flotte et se lança à sa poursuite.
Le Nantais, excellent marcheur, déploya toutes ses voiles jusqu'aux bonnettes de brigantine et de sous-gui, pour attirer son adversaire loin des autres vaisseaux ; diminuant de toile lorsque la distance entre les deux navires devenait trop forte, repartant à toute allure lorsque l'Anglais se rapprochait davantage. Dès le début de cette chasse, le capitaine Jean Crabosse avait ordonné le branle-bas général de combat : les coffres d'armes ouverts et les bailles pleines d'eau s'alignaient sur le pont du corsaire ; les servants à leurs pièces dans la batterie allumaient les boute-feux ; les écoutes et les drisses avait été solidement bossées ; les hunes et vergues étaient garnies de leurs gabiers munis de grenadeet de grappins d'abordage ; puis, quand tout fut prêt, le Duc-de-Bourgogne, diminuant soudain de toile et carguant ses voiles, lofa par le travers des bossoirs de l'Anglais qu'il enfila de bout en bout. Bientôt, le nuage de fumée qui entourait les mâts des deux navires se fondit en un seul, et, après un épouvantable combat de trois heures, le Nantais aborda enfin son adversaire ; mais la mer était très dure, et avant que le Nantais ait pu lier son beaupré aux vergues de l'Anglais, une vague vint briser ses grappins et séparer les deux navires.
Un second abordage fut plus heureux, et l'Anglais, enlevé à l'arme blanche, dut amener pavillon.
Le 29 octobre, le Duc-de-Bourgogne amarinait la SAINTE-ÉLIZABETH, de Gênes ; puis le 8 novembre, l'anglais I'AVENTURE ; le 24, le brigantin le RETOUR-DE-BATON, de Londres ; et le 30, tout désemparé par une effroyable tempête, il rentrait à Vigo,
Ses prises liquidées, le corsaire nantais reprenait la mer le 16 décembre ; et s'emparait le 25 du SAINT-ANTOINE, de Londres, après une chasse de deux heures. Enfin, le 12 février 1704, faisant voile vers Nantes, il enlevait la CATHERINE-BUCK, d'Amsterdam ; amarinait quelques jours après un petit navire portugais près du Pilier ; et rentrait en Loire le 4 avril (3).
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(1) Nous adopterons désormais les abréviations suivantes : tx. pour tonneaux ; can. pour canons ; pier. pour pierriers ; h. pour hommes d'équipage ; et cap. pour capitaine,
(2) S. DE LA NICOLLIÈRE-TEIJEIRO, La Course et les Corsaires de Nantes, p. 66.
A. PÉJU, La Course à Nantes aux XVIIe et XVIIIe siècles, p. 168.
(3) S. DE LA NICOLLIÈRE-TEIJEIRO, La Course et les Corsaires de Nantes, pp. 76-78.
RAPPEL
Ces chroniques sont tirées de
Marins et Corsaires Nantais
par Paul Legrand
Héron - J. Mesnier & C° - Éditeurs
7, Rue de Strasbourg - Nantes - 1908
12:00 Publié dans Les chroniques portuaires | Lien permanent | Commentaires (0)
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