lundi, 15 mai 2006
Rilke non lu
Rainer Maria RILKE
...ou le livre jamais lu.
Il est partie de cette livraison qui me parvient à Rhardous entre Forêt-Affaïne et Djebel Bou-Maad, au printemps 1961. Un petit paquet des éditions Seghers : Rilke, Jouve, Reverdy, Pessoa, Desnos. Deux sont marqués d’un drôle de cachet rond SP, que je comprendrai que plus tard. Fin de stock ? Pourquoi cette marque ? Parce que vendus par correspondance ? Non : spécimen.
Le Rilke doit être une réédition ; le bouquin est le numéro 14 de la collection, donc un des tout premiers de la collection qui date de 1945 ; l’achevé d’imprimer de l'exemplaire que j'ai est de décembre 1958.
Le rédacteur de l’essai est un certain Pierre Desgraupes ; je dis “un certain” , car la télévision n’a pas encore pénétré dans tous les foyers français. Mais il s’agit bien du plus qu’excellent chroniqueur de “Lectures pour tous” avec Pierre Dumayet et Max-Pol Fouchet.
Livre jamais lu, à peine entrouvert aujourd’hui encore. Par exemple, le mois dernier, il en est question dans l’approche littéraire du mythe d’Orphée, mais c’est Pierre Emmanuel que je vais réouvrir. Pierre Emmanuel dont la lecture du Tombeau d’Orphée de suite s’imposera sur les Sonnets à Orphée de Rilke écrits en 1922, inspirés au poète par la mort d’une jeune danseuse et musicienne.
Un livre de la non-lecture, de ces livres dont parlait récemment François Bon dans son Tumulte , de ces « livres qu’on a achetés et pourtant pas lus, pour l’instant ou pour toujours ? »
J’en ai quelques autres sur les étagères.
Pourquoi l’avoir acquis ? Pour la réputation de l’auteur, la fascination des titres : les Élégies de Duino, les Cahiers de Malte Laurids Brigge ? Pour la renommée troublante, trouble, d’un nom de femme Lou Andréas-Salomé.
Lecture “naïve”, lecture critique ? Quand la première est muette, la seconde peut ouvrir l’intérêt et le plaisir. Mais non, pas à chaque fois.
Avouer n’avoir jamais lu et tenter de comprendre ce non lire.
La “gueule, quand on la voit, de l’auteur qui ne vous revient pas ; c’est bête mais c’est le cas pour Rilke, les yeux globuleux, la bouche lippue, la moustache qui recouvre la lèvre supérieure.
Les jeunes filles qui ne sont pas mes jeunes filles, le dieu si loin de mes dieux.
La traduction, et là plus encore que dans les autres livres, les traducteurs multiples, j’en ai dénombré dix.
L’effleurement des pages quand aucune accroche ne s’attarde aux mots. Fragile adhésion aux images, donc à la langue (difficulté rencontrée avec Essénine, mais pas avec Lorca)
L’essai pourtant comme possible entrée ? Je ne les lisais que peu, et toujours après avoir découvert les textes du poète. Même encore ce jour.
Mais alors quand le texte n’est qu’un mur lisse sans prise ?
Georges Mounin dans la Communication poétique, Jean Onimus dans la Communication littéraire démontent bien ces mécanismes de lecture et de non-lecture.
Faut-il à chaque page ouverte cette communauté d'expérience, même infime, pour que le lien s'établisse entre l'auteur et le lecteur ?
Des années que je tourne et retourne cette question, qui, parfois, s'efface, qui d'autres fois, se fait abîme.
Et voilà le livre qui se fane sur une étagère non vitrée, exposé aux poussières, le dos délavé et la tranche jaunie par la lumière du jour
Dans une lettre à Lou Andreas-Salomé, Rilke écrit :
« L'art est, en effet, chose bien trop grande et trop lourde, et trop longue pour une vie, et les vieillards y commencent à peine leur chemin. »
Puis il cite Hokusaï :
« C'est à l'âge de soixante-treize ans que j'ai compris à peu près la forme et la nature vraie des oiseaux, des poissons et des plantes. »
Pour Rilke, pour d’autres, je n’ai pas encore trouvé de passeur !
L’esseulement qui t’assaillit te rend capable de mettre en équilibre la solitude des autres.
La lettre à Liliane
Sur la Toile, quelques sites :
• Anthologie de la poésie
• Sur le site de Jean-Michel Maulpoix
• Rilke "l'Européen", en français, en allemand, en anglais
23:10 Publié dans "Poètes, vos papiers !" | Lien permanent | Commentaires (2)
Commentaires
Avez-vous fini par le lire ?
Écrit par : Oldborn | jeudi, 07 février 2008
Eh ! Non.
Les pages, les lignes, les mots me sont toujours sans écho !
Écrit par : grapheus tis | jeudi, 07 février 2008
Les commentaires sont fermés.