dimanche, 30 septembre 2018
portrait sixième - après la guerre
...ou peut-être quelques siècles auparavant, au temps splendide de la Kahéna.
Elle remonte le cours de l'oued, jusqu'à l'entrée des gorges. Elle déroule son foulard de tête, la chevelure noire s'écroule en vagues des épaules à ses reins. Plus tard, quand elle a quitté l'ombre de la palmeraie et le parfum des orangers, elle laisse glisser jusqu'à ses chevilles que cercle le tatouage des Ait Melkem la tunique d'indigo, elle descend, intense et nue, dans le chaos des galets blancs que charrie l'eau du dernier orage.
La toison de son sexe est de la plus belle noirceur.
ou peut-être encore dans les jours à venir et l'absolue liberté de ces femmes du Maghreb...
13:49 Publié dans la guerre, Les antiques | Lien permanent | Commentaires (0)
samedi, 29 septembre 2018
pour le portrait cinquième - un couple
Elle descendait à la Vilaine par la Corne-de-Cerf, chaque matin, été comme hiver, qu'il pleuve ou vente, avec sa longue charrette, sa lessiveuse, son rangeot, son bat-drap et son trépied ; elle lavait le linge des gens des châteaux, celui de ces messieurs de Beaulieu et de Trenon ; la remontée au bourg par la Corne-de-Cerf était pentue et longue. Elle est morte épuisée à cinquante six-ans.
Elle était ma grand-mère.
Il était charpentier ; le dimanche matin, il devenait le barbier du bourg, il rasait les paysans des villages qui, en char-à-bancs, venaient à la messe ; il était toujours vêtu d'un lourd et large pantalon de velours, les reins ceints d'une large flanelle ; il était chantre à l'église.
Charpentier, il faisait les cercueils et rasait donc les morts.
Il était mon grand-père
18:15 Publié dans Les nocturnes | Lien permanent | Commentaires (0)
mercredi, 26 septembre 2018
quatrième portrait - bientôt la paix
Si Salah était modeste comptable chez un des plus riches commerçants Mozabites de la place Béchu. Il prit le maquis dès la Toussaint Rouge. Quand nous le rencontrâmes peu de mois avant le cessez-le-feu, il commandait la "mintaka-sud" des Aurès ; son visage émacié dégageait la sérénité. Il était, bien qu'ayant tué, d'une remarquable douceur.
À Branis, il nous reçut sous un olivier.
09:25 Publié dans la guerre | Lien permanent | Commentaires (0)
mardi, 25 septembre 2018
portrait troisième - c'était au temps de guerre
Elles habitent un gourbi, tout proche de la casemate ; il les voit souvent à la fontaine ; sur le plan du village, la punaise de leur gourbi est rouge : l'homme est au maquis, il a peut-être été tué. La femme, trente, trente-cinq ans dans ses haillons noircis de la fumée du bois d'olivier et de génevrier, est grande et sèche : les traits du beau visage se rehaussent de rides accentuées par la vie rude du djebel ; dans le corps de la fille, quatorze, quinze ans, s'annonce déjà le port altier de la mère, elle a la rondeur nubile de l'adolescence.
"Et peut-être le jour ne s'écoule-t-il point qu'un même homme n'ait brûlé pour une femme et sa fille"
St-John Perse, Anabase II.
En deça du sentiment de beauté, remue l'indéfini désir que, seule, contient l'attitude des deux femmes. Elle n'ont ni hauteur, ni mépris. Elles ignorent.
08:23 Publié dans la guerre | Lien permanent | Commentaires (0)
lundi, 24 septembre 2018
portrait second actuel
Il est encore à la barre, il a le visage exténué de l'homme qui achève sa quatrième nuit de mer, les yeux brûlés de sel et d'hallucinations. Égaré dans une molle du golfe, il a tiré, trois jours, trois nuits, de longs bords, serrant le vent de nordet au plus près. Ce n'est qu'à la pointe de Penmarc'h qu'il a identifié, à la côte, loin dans le suet, les feux d'autres voiliers.
Il serait donc vainqueur.
11:02 Publié dans les marines | Lien permanent | Commentaires (0)
dimanche, 23 septembre 2018
portrait premier
Il est assis parmi les enfants, ensemble ils jouent aux osselets, il est souriant — qui donc écrira plus tard qu'il était le visage même de la tristesse. L'œil est vif, il hume l'air marin avec appétit ; certes l'âge le courbe et le pas est hésitant quand il prend le chemin de la mer.
Atteindra-t-il ou pas l'inespéré ?
18:20 Publié dans dans les pas d'Héraclite, Les antiques | Lien permanent | Commentaires (0)