lundi, 19 mars 2018
à côté de Maïakovski et de Serge Éssénine
... mais un peu plus loin, un de ces rares hommes des confins européens qui se levèrent pour opposer leurs mots aux terreurs successives de leur pays,
Ossip Mandelstam*.
La Russie est au Salon du Livre de Paris, Télérama lui consacre deux pages dans sa rubrique littéraire et le Monde des Livres, sa "une" pour annoncer la parution de ses œuvres complètes** et rappeler qu'il mourut quasi fou et d'épuisement dans un camp de travail près de Vladisvostok, son cadavre jeté dans une fosse commune.
La vague sourde avait grondé tout au long du voyage
Et, laissant son vaisseau, les gréements rompus sur les mers
Empli d'étendue et de temps Ulysse s'en revint
Tristia, 1917
Lire et relire l'extraordinaire et belle acuité qualifiant ce retour de l'Errant : ...empli d'étendue et de temps...
*Ossip Mandelstam, Tristia et autres poèmes, Poésie/Gallimard, février 1982.
** Œuvres complètes, deux tomes, Le Bruit du Temps/La Dogana.
10:23 Publié dans Les antiques, "Poètes, vos papiers !" | Lien permanent | Commentaires (1)
mercredi, 14 mars 2018
Il y a cinquante et six années, six justes
C'était un temps déraisonnable. Les tueurs rôdaient, les mêmes ou d'autres — qu'importe les jours ou les siècles, passés ou à venir — dans l'ombre des rues ensoleillées. Nous marchions atterrés mais attentifs, sereins mais exempts de la peur. Nous ignorions que des lendemains lointains nous donneraient raison, malgré la haine et le sang.
Sur les gouffres du temps, que la mort creuse si vite et si fort entre les êtres et les
générations, je passe le fil de la mémoire. Je vous nomme, ombres de lumière.
Max Marchand, présent !
Mouloud Feraoun, présent !
Marcel Basset, présent !
Robert Eymard, présent !
Ali Hammoutene, présent !
Salah Ould Aoudia, présent !
Vous voilà parmi nous.
La poussière des fureurs de la guerre est tombée. Et voilà que vos assassins n'ont plus de nom. Ils n'ont aucun visage qui se distingue dans la cohorte sanglante des bourreaux de tous les âges et de toutes les guerres.
Vous voici, maîtres de l'école publique, passeurs de savoirs et de savoir être. Vous êtes uniques et singuliers comme le sont les visages de ceux qui donnent la vie.
La vie!
Celle de l'esprit que le savoir construit, faisant de chaque jeune individu une personne.
La vie!
Celle du temps profond de l'Algérie comme rive de la Méditerranée, que ponctuent
nos tombes emmêlées et nos enfants communs.
Paroles de Jean-Luc Mélenchon quand, en décembre 2001, il dévoile une stèle pour ces six ombres de lumière.
Nous serons encore quelques-un(e)s à maintenir leur mémoire.
Les tueurs surgiront encore. Nous leur ferons à nouveau face.
18:35 Publié dans la guerre | Lien permanent | Commentaires (0)
jeudi, 01 mars 2018
où donc peut bien mener la dégustation d'une "tête de veau" ?
Naguère — peut-être bien jadis — c'était à l'Hôtel de la Boule d'or.
Aujourd'hui, c'est, plus prosaïquement rebaptisée, à L'Auberge Rétro. La façade est sans doute intouchable, les lourdeurs mobilières dans le bar et les salles, immuables depuis cinquante ans.
Qu'est devenue la "chambre" ?
Les trois cousins de l'enfance en guerre se sont, hier, retrouvés entre "tête de veau sauce gribiche" ou "tête de veau vinaigrette aux câpres".
La mélancolie était ailleurs, plus profonde
.
À Bourgneuf, René-Guy Cadou, instituteur remplaçant, retrouve en 1941, Sylvain Chiffoleau, son copain du lycée Clémenceau. Hébergé par les parents de ce dernier à l'hôtel de la Boule d'or, il écrit à Marcel Béalu :
«...Je coule des heures paisibles. Je vis sans rien d'autre. Pays de vent. Soleil. Amis natals. Je n'ai plus qu'un grand désir de sable et d'eau verte. La poésie c'est aussi l'air libre, le petit bistrot plein de pêcheurs, la "jolie rousse"... Je déconne en ce moment. Je suis très heureux — à la façon des vaches dans l'herbe grasse ou des Saints, mais les Saints, les seins, l'essaim, c'est tout mon ciel..."Il fait bon vivre à la pointe des vagues et des fanfares étincelantes". Tu liras ça. Ça s'appelle Porte d'Écume ».
Sylvain Chiffoleau et lui s'aventurent dans la lente et humide traversée du marais de Lyarne qui mène au petit port dans l'étier du Collet.
« Lorsque nous avions longuement marché dans la tiédeur des marais, franchissant les innombrables planches lancées de part et d'autre des fossés, nous débouchions sur un large chemin, parallèle au grand étier. Nous le suivions jusqu'à l'écluse dont nous montions les quelques marches pour mieux surplomber le port minuscule du Collet... Aussi loin que portaient nos regards, s'étendait la luisante marée des vases aux vagues figées...», écrit Chiffolleau.
© Nicléane
Assez de sangs mêlés au nectar des collines
De peaux mortes jetées sur le bord du chemin
Les membres sont épars dans la luzerne
Je pars aux premiers feux vers les dunes de Lierne
Et quand j'arrive enfin
La mer est déjà là
Ses ailes se détachent
Des quartiers de soleil aussi qui se détachent
Le cœur fait un remous
L'écume et le matin se sont levés sur nous
Un peu de vent qui vole
Plus haut
Dans le grand air
Sont dressées les paroles
On marche en écrasant des mottes de ciel bleu...
René-Guy Cadou,
Bruits du Cœur, 1941
À l'été 41, Cadou quittera Bourgneuf "en pleurant — où peu s'en est fallu". Il y reviendra souvent.
Les souvenirs que j'ai sont vagues de grand large
Qui retombent parfois sur les pays déserts
Hôtel des Chiffoleau ! tes chambres à cordages
Ballotent mon esprit comme un enfant des mers I
Je me souviens de litres bus
Je me souviens de longues veilles
Minuit ! Tous les mots défendus
Au matin la puce à l'oreille !
Et toujours cet ami discret
Entrant sans bruit dans ma mémoire
« Le soleil est chaud, fait exprès
Mais c'est ta fraîcheur qu'il faut boire ! »
Nous avons marché sur des plages
Λ la recherche d'un pied nu
Les vivants de notre entourage
Ont trouvé l'idée saugrenue
Mais le soir dans ton triste hôtel
La Boule d'Or si bien nommée
D'embruns et de ciel embrumé
Roulait au fond de nos prunelles
Chiffoleau fils de Sylvain père
Le passé tient dans notre verre !
René-Guy Cadou,
SylvainChiffoleau
Que la lumière soit, 1949-1951
Le cœur définitif
Douce mélancolie. Douce...
Maintenant je suis seul
Mon ombre s'est glissée à l'ombre du tilleul
Il fait nuit
La terre bouge
Les adieux sont tendus au bas du rideau rouge
Bruits du cœur,
1941
Qu'est devenue la Chambre ?
18:08 Publié dans Cadou toujours | Lien permanent | Commentaires (0)