dimanche, 13 juin 2010
kan an diskan
à JCB pour qu'il sache encore moins
comment fuir et retrouver sa sérénité.
Il y a déjà quelque temps que j'ai très envie de publier ce "kan an diskan" — ce chant contre-chant des sonneurs bretons.
Les commentaires seront pour plus tard. Je livre — en trois morceaux — les deux textes nus. Le premier morceau, celui de Cendrars a été publié en janvier de cette année sur le thème de la « liste ».
En trois morceaux, car je pense toujours que de trop longues notes, ne retiennent que difficilement le regard sur l'écran.
À expérimenter, cette première fois, la confrontation du tableau clinique du masochsime et de la Lance brisée du couchant !
L'amour est masochiste. Ces cris, ces plaintes, ces douces alarmes, cet état d'angoisse des amants, cet état d'attente, cette souffrance latente, sous-entendue, à peine exprimée, ces mille inquiétudes au sujet de l'absence de l'être aimé, cette fuite du temps, ces susceptibilités, ces sautes d'humeur, ces rêvasseries, ces enfantillages, cette torture morale où la vanité et l'amour-propre sont en jeu, l'honneur, l'éducation, la pudeur, ces hauts et ces bas du tonus nerveux, ces écarts de l'imagination, ce fétichisme, cette précision cruelle des sens qui fouaillent et qui fouillent, cette chute, cette prostration, cette abdication, cet avilissement, cette perte et cette reprise perpétuelle de la personnalité, ces bégaiements, ces mots, ces phrases, cet emploi du diminutif, cette familiarité, ces hésitations dans les attouchements, ce tremblement épileptique, ces rechutes successives et multipliées, cette passion de plus en plus troublée, orageuse et dont les ravages vont progressant, jusqu'à la complète inhibition, la complète annihilation de l'âme, jusqu'à l'atonie des sens, jusqu'à l'épuisement de la moelle, au vide du cerveau, jusqu'à la sécheresse du cœur, ce besoin d'anéantissement, de destruction, de mutilation, ce besoin d'effusion, d'adoration, de mysticisme, cet inassouvissement qui a recours à l'hyperirritabilité des muqueuses, aux errances du goût, aux désordres vaso-moteurs ou périphériques et qui fait appel à la jalousie et à la vengeance, aux crimes, aux mensonges, aux trahisons, cette idolâtrie, cette mélancolie incurable, cette apathie, cette profonde misère morale, ce doute définitif et navrant, ce désespoir, tous ces stigmates ne sont-ils point les symptômes mêmes de l'amour d'après lesquels on peut diagnostiquer, puis tracer d'une main sûre le tableau clinique du masochisme ?
Blaise Cendrars
Moravagine, pp.61-64
Le Livre de Poche, n° 275, Paris, 1960
©Bernard Grasset, 1926
Laisse-moi vivre au beau midi noir des étangs oubliés sous tes paupières par la folie des jungles, par le delta des laves.
Laisse-moi dormir paumes ouvertes vers le toit de figues qui protège tes yeux du chant des sables.
Laisse-moi perdre ma race au hasard des lianes cambrées de ton retour hors la nuit des passeurs de collines.
J'ai connu le temps de l'eau rythmique et le temps des sœurs accueillantes. Mon sommeil a couleur de naufrage, trop loin des chambres molles où ton regard promène ses lenteurs d'ibis.
Écoute contre terre, la sonnaille tremble dans la voix des esprits pour des jours chargés de cavaliers blancs à la lisière de ton lit. Ils viendront sans messager, repoussant le désert au fond de ta gorge, ils viendront mêlés de pluies désirées et de tambours fauves, au seul rocher de l'horizon fichant les bannières aux signes des quatre vents. Leurs allées sur ton corps seront de miel et de bronze, ils prêteront serment sur de vastes pelages.
Alors je serai l'écuyer voué aux départs, celui qui plante sur la piste fraîche de grands soleils de cuivre. J'aurai toujours dans la poitrine un certain vol de corbeaux.
Laisse-moi feindre la torpeur des comètes, effacer de mes larmes les cartes de route et cuire au zénith le serpent maître des fleuves.
Je prends ton corps comme il vient sous mes lèvres, ta voix comme elle passe sur la nuit d'écailles libres. J'ai l'âge des délires implacables. Et la poignée de sauterelles jetées par ouest ce matin ne fait pas la couleur de l’absence. Toute la forêt charbonne sur tes seins d'huître perlière, tes seins de lévitation dans la pirogue du gulfstream, tes seins de mangouste amoureuse du cobra. Je descends les falaises vers ton nombril calme avec la patience des hordes qui nous offriront l'incendie des capitales. Au gué des marais seulement rêvés, la lance brisée du Couchant défie la Licorne, belle et tourmentée comme la fleur mauve de ton réveil.
Jacques Lacomblez
La Clef sarrazine
Poètes singuliers du surréalisme at autres lieux,
A.V Aelberts & J.J. Auquier, UGE 10/18/, 1971.
Demain, le "kan an diskan II".
08:00 Publié dans "Poètes, vos papiers !" | Lien permanent | Commentaires (0)
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