vendredi, 20 mars 2009
qu'ai-je lu ?
Un cinglant billet de Édouard Launet dans sa chronique du LibéLivres d'hier "On achève bien d'imprimer" ; ça commence très, très fort :
« Les "gens" — eux, moi, vous peut-être —mentent effrontément lorsqu'on les interroge sur leurs lectures. »
Il relate une étude britannique d'où il ressort qu'on dit "avoir lu", alors qu'il n'en est rien, que le livre n'a peut-être même pas été ouvert.
Le pourcentage est étonnant de ces liseurs non lecteurs : 61 %.
Et pour quoi faire croire ainsi : « Des études ont montré que les gens mentent pour se rendre sexuellement plus attractifs.»
Diantre ! Je m'interroge désormais sur mes appétits de lecture.
À ma décharge, quand on me demande :
« As-tu lu tel, ou tel ? » Je suis plutôt dans l'évasif.
Souvent quand j'ai lu, mais vraiment lu, je réponds d'ailleurs — ce qui est la vérité vraie : « Je lis. »
Par exemple, c'est ce que je peux répondre pour tous ces gens de pensers et d'écriture dont je rends modestement compte en ce blogue.
Bien que ?
Hier, je me suis pris en flagrant délit de menterie à moi-même : , ces jours, je me tâte pour décider de l'achat d'une quatrième version des Essais, celle qui était annoncée dans Le Monde du 28 février*, où il est écrit entre autres à propos de cette ènième adaptation en français moderne : « Lanly, et c'est le tour de force, n'a pas touché à la structure de la phrase de Montaigne. Il a restauré les mots…». Ça me tente ; hier donc, je rentre chez mon libraire de la rue de la Fosse pour tester cette "restauration".
Et je tombe sur le chapitre XII du Livre II, l'Apologie de Raymond Sebon, ...que je n'ai jamais lu, alors que j'affirme mordicus que j'ai lu Montaigne.
Non, allez, je fais la pirouette : je n'ai pas lu, je lis Montaigne. Et ainsi des vingt ou trente, ou quarante qui sont là, sur les rayons, au plus proche de cet écran, mon écritoire !
J'ai refermé pour un temps Héraclite. Ai-je lu Héraclite ? Certainement non : je lis Héraclite.
Et pendant ce temps-là, dans la petite mare de la littérature écranique, récupérée par le Salon du Livre et par son hypocrite appareil lettré qui classe, organise, hiérarchise et bientôt légiférera, ÇA s'agite beaucoup..
Serions-nous déjà sortis de l'ombre bien heureuse de la pré-histoire de nos blogues ?
À lire l'affaire sur le blogue d'une Dame qui depuis l'aube de cette préhistoire ouvrit un très beau chantier sur les mille écrivailleurs que nous sommes, scribes et liseurs," non déclarés, non reconnus, non officialisés, non syndicalisés, qui hors des réseaux lettrés, institutionnels, reconnus, ont volonté d'inscrire leur penser, leur parole, leurs émotions, leurs goûts, tout en n'hésitant point, pour un temps, à se déclarer, se faire reconnaître, officialiser, avant de reprendre leurs chemins libertaires".
Salut à FB, ce bel et grand "aïeul" de la littérature sur... Toile — va pas aimé, le bougre ! -, qui survit certainement fort bien dans la tempête de la mare.
* Les Essais de Montaigne en français moderne, Adaptation d'André Lanly, Gallimard, « Quarto » 1354 p.
18:33 Publié dans dans les pas d'Héraclite, Les blogues, les lectures | Lien permanent | Commentaires (5)
Commentaires
voilà un très beau billet ... où je suis très fière d'être citée, préférant néanmoins être qualifiée de dame que d'"aïeule" (pauvre FB) !
Écrit par : cgat | samedi, 21 mars 2009
t'inquiète ami, suis loin de la mare, même de l'autre côté de la "flaque" et ce soir avec amis d'ici on parlait d'exactement la même chose - lit-on pareil, que choisit-on de lire - ici cette semaine dans les facs ai parlé de Char ou de Proust, ai lu du Daniil Harms, ceux que je cite je les relis - "apologie de Raymond Sebond", le grand II 12 oui j'ai lu plusieurs fois et ouvre souvent mes Essays (y compris en version numérique) par ce bout-là
quant à l'aïeul, t'en fais un autre, t'auras qu'à venir me le dire en face, t'as juste qu'à sortir de ton estuaire et piquer tout droit plein ouest, remonter un peu le St-Laurent qui est un vrai beau fleuve (ce qui n'amoindrit point le tien : c'est comme les lectures des uns par rapport aux lectures des autres)
reste l'écume - mais une conviction : ce qui se passe sur le Net, c'est comment le langage nous renvoie à la friction du monde, à notre curiosité au monde, tiens, je t'offre le lien ci-dessous - en échange, ton prochain billet sur le thème "est-ce lire, cela" ? en frères bi-zayeulles (et pour la vieille langue nôtre parlée de ce côté ci)
http://thewhalehunt.org/whalehunt.html
allez, vais refaire petit moment St John Perse (emporté Pléiade dans valise) avant
Écrit par : F | samedi, 21 mars 2009
"A ma décharge"... Comme vous y allez quand il s'agit de "se rendre sexuellement plus attractifs" !
En tout cas, suis aussi de ceux qui lisent dans leur chemin libertaire.
Et voyez comme notre constellation brille dans le ciel littéréticulaire...
Écrit par : Berlol | samedi, 21 mars 2009
La "charge" amicale de Berlol sur ma "décharge" m'a troublé l'orthographe.
J'ai dû apporter une double correction. il en eut fallu une troisième : la précocité s'est vue affublée d'un "s" qui la tirait vers la préciosité.
Écrit par : grapheus tis | dimanche, 22 mars 2009
"Suivés lorthografe antiene" (note de Montaigne à son imprimeur, verso de la page de titre de l'Exemplaire de Bordeaux)
Écrit par : C.C. | mardi, 24 mars 2009
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