jeudi, 29 novembre 2007
Chronique portuaire LXX
Période Révolutionnaire
1793. — LES NOYADES EN LOIRE.
La guillotine et les fusillades en masse aux carrières de Miséri, situées à l'extrémité du port, ne suffisant plus à exécuter le trop-plein des prisons, les membres du Comité Révolutionnaire cherchèrent un moyen plus expéditif de se débarrasser de leurs victimes ; c'est alors qu'ils eurent l'idée atroce des noyades, que, dans leur ignoble argot, ils appelèrent : déportation verticale, pêche au corail ou immersion patriotique.
La première noyade eut lieu le 17 novembre 1793. Lambertye qui l'avait préparée avait acheté, pour la somme de 200 livres, une sapine ou chaland, dans laquelle il avait fait pratiquer des sabords par des ouvriers réquisitionnés chez le constructeur Baudet.
Un peu après minuit, accompagné par Fouquet et plusieurs autres membres du Comité, il accostait la Gloire et se faisait délivrer 90 prêtres emprisonnés dans ce navire ; quelques instants après, les sabords étaient ouverts à coups de hache, et les malheureux précipités dans le fleuve.
Le lendemain de ce crime, Carrier écrivait hypocritement à la Convention : « Un événement d'un autre genre a voulu diminuer à son tour le nombre des prêtres, quatre-vingt-dix, de ceux que nous désignons sous le nom de réfractaires, étaient enfermés dans un bateau sur la Loire ; j'apprends à l'instant, et la nouvelle en est très sûre, qu'ils ont tous péri dans la rivière, quelle triste catastrophe ! »
La deuxième noyade eut lieu le 10 décembre, et Carrier l'annonçait ainsi à la Convention : « Cinquante-huit individus, désignés sous la dénomination de prêtres réfractaires, sont arrivés d'Angers à Nantes ; aussitôt ils ont été enfermés dans un bateau sur la Loire : la nuit dernière ils ont été engloutis dans cette rivière. Quel torrent révolutionnaire que la Loire ! »
Après les noyades de prêtres, vinrent les noyades de prisonniers du Bouffay et de l'Entrepôt, accompagnées de raffinements de cruauté dignes de cannibales. C'est alors que furent inventés les bateaux à soupapes, fabriqués par le charpentier Affilé; les prisonniers étaient entassés dans la cale et les panneaux cloués sur eux, puis, au milieu du fleuve, les soupapes étaient ouvertes et le bateau s'enfonçait lentement, tandis que les noyeurs coupaient à coups de sabre les bras et les mains qui passaient à travers les interstices de planches ou fracassaient à coups de gaffe. le crâne de ceux qui parvenaient à s'échapper et tentaient de se sauver à la nage ; c'est alors aussi que furent imaginés les mariages républicains : un homme et une femme, — les noyeurs choisissaient de préférence un vieillard et une jeune fille, ou un jeune homme et une vieille femme, — étaient attachés ensemble, nus, et précipités dans le fleuve ; c'est alors enfin que Carrier et ses séïdes osèrent dîner avec des courtisanes sur le pont de l'une de ces gabares au fond de laquelle gémissaient leurs victimes, et assister en personne à ces horribles exécutions.
Les historiens comptent jusqu'à vingt-trois de ces noyades en Loire, plusieurs exclusivement composées de femmes et même d'enfants ; et l'on estime qu'elles engloutirent près de 9.000 malheureux.
La Loire charriait des cadavres en si grand nombre que le Département dut faire défense de boire de son eau, et de manger de son poisson, les berges, depuis Nantes jusqu'à la mer, étaient couvertes de débris humains que déchiquetaient les mouettes et les corbeaux ; et les navires quittant le port ramenaient avec leurs ancres des grappes hideuses de corps déchirés (1).
LE LIEUTENANT DE VAISSEAU LE COUR.
Le Lieutenant de vaisseau nantais Le Cour, commandant une corvette de î'Etat, reçut en pleine Terreur l'ordre de porter des dépêches par delà l'Atlantique, en même temps que trois passagers étaient conduits à son bord. Les instructions les concernant étaient closes, et le lieutenant ne devait les ouvrir qu'à cent lieues au large.
Le jour venu, Le Cour en prit connaissance ; elles contenaient l'ordre de fusiller les passagers sur le bossoir. Le Cour, incapable de cette lâcheté, les garda à bord et, de retour en France sa mission accomplie, écrivait fièrement au ministre ; « Je ne suis pas un bourreau, je vous ramène vos prisonniers, que la République les fasse tuer par qui elle veut ! ».
Ce brave officier mourut à Nantes, le 16 janvier 1861, âgé de cent deux ans (2).
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(1) LALUÉ, Les Noyades de Nantes.
CRÉTINEAU-JOLY, Histoire de la Vendée militaire, t. II, p. 40 et suiv,
(2) JOS. DE TREMAUDAN, Histoire anecdotique de la ville de Nantes, pp. 375-6.
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