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lundi, 23 mai 2016

retour de Crète

à Nicléane et Éléni,
mes compagnes de voyage

 

Ma première impulsion pour aller en Crète, il y a quinze ans, c'était le souvenir d'une lecture bien antérieure, dans les années 70, du Colosse de Maroussi d'Henri Miller, des pages de feu sur Épidaure, Mycènes et puis dans les soixante-dix pages consacrées à la Crète, huit d'un lyrisme cosmique qui narrent sa visite à Phaestos, accompagné d'un vieil homme, Kyrios Alexandros.

La pluie s'est arrêtée, les nuages se sont dispersés.
La voûte d'azur s'ouvre comme un éventail, le bleu
se décomposant en cette ultime lumière violette
qui donne à tout ce qui est grec un air sacré, naturel,
familier. En Grèce, on est pris du désir -de se baigner
dans le ciel. On voudrait se débarrasser de ses vêtements,
prendre son élan, et sauter dans l'azur. On voudrait flotter
dans les airs comme un ange, ou se coucher raidi dans l'herbe
et dans la volupté transie d'une catalepsie. Pierre et ciel,
ici, se marient. C'est ici l'aube perpétuelle du réveil de l'homme.

 Donc me voilà reparti avec cette idée qu'en Crète, " le ciel est réellement plus proche de la terre que nulle part ailleurs". J'ai laissé sur ma table le bouquin de Miller, ne glissant dans mon sac que le Guide du Routard et l'Anthologie de la poésie grecque contemporaine,— j'aurais bien aimé y ajouter la Lettre au Gréco* de Kazantzakis, mais je crains que le livre n'ait subi la purge des bouquins de poche du début d'automne.

Quelque part entre La Canée et Paléochora, à Képhali, je crois bien, un soir au coin du feu — si, si ! en mai, il peut y faire très frais,— l'Anthologie s'est ouverte sur ce texte d'Odysséus Élytis

 J'attends le jour
Où un jardin clément avalera
Les déchets de tous les siècles — le jour
Où une fille annoncera la révolution dans son corps
Beauté aux cris tremblants aux lueurs
De fruits ramenant l'histoire
À son point d'origine
                            si bien
Que les Francs sans doute s'helléniseront
Parvenant au cœur du figuier
Où leur sera dictée dans leur sommeil la perfection
Des vagues
                où d'une fissure dans leur pensée l'émanation
D'une lavande audacieuse revenue
De leur enfance ira aux espaces stellaires
Pleins de colères les apaiser.

Odysseus Élytis
Le petit marin
in Anthologie de la poésie grecque contemporaine
NRF, Poésie/Gallimard, novembre 2000.

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                                                                                                    les Gorges de Ziros à Xéromkambos

 Résonance  de cet appel aux "Francs" — les autres Européens pour Élytis — quand émerge le souvenir d'un article récent de Nicolas Weill  dans le Monde des Livres (! janvier 2016) évoquant la parution d'un bouquin récent, L'Avenir des Anciens-Oser lire les grecs et les Latins, de Pierre Judet de la Combe qui plaide, non pour un retour à des origines supposées ou à un quelconque patrimoine identitaire — nous savons dans quelles errances barbares ces retours ont fait chuter certains — mais parce que l'œuvre de la traduction se révèle essentielle dans ce travail d'ébranlement de nos certitudes, de subversion d'une langue qu'Internet voudrait réduire à l'information et à la communication.

Résonance plus intime quand un compagnon d'Éducation Populaire, très proche, suite à la publication de ce texte sur "facedebouc", m'envoie remerciement pour mon invitation à sortir une fois encore des sentiers battus par les Francs pour accéder au cœur d'Utopia.
Merci à Claude N. pour cette si juste appréhension du texte d'Élytis.

 

 

* Note bibliophilique ! : éditée chez Presse Pocket sous une couverture "dégueulasse", épuisée,  Lettre au Gréco se vend au-delà de 30 €

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