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dimanche, 19 février 2012

lecture courante de grandes proses II

Seconde lecture : Julien Gracq.

Elle s'enchaîne aux livres réouverts pour le débat de la semaine dernière sur La Forme d'une ville, qui m'avait fait replonger dans La Presqu'île, cette errance géographique et amoureuse, dont certains passages d'attente et de désir m'ont amené enfin à lire ce que dans ma dyslexie je me suis toujours obstiné à nommer Poème à l'Étrangère — confondant le texte de Saint-John Perse et l'écrit gracquien — et qui est Prose pour l'étrangère lisible en seule Pléiade :

 

Quelquefois le printemps mouillé la jetait à moi comme
un bouquet de pluie fraîche, et ma bouche s'attardait
longuement à mordre à même ses cheveux de prairie avant
de hausser vers moi sa bouche et ses yeux, le tendre cœur
de la fleur préservée qui faisait perler ses gouttelettes
comme l'innocent et tendre cœur du chou. Sur ses pieds
nus de laveuse haut troussée, elle s'éparpillait soudain
autour de moi comme une blonde meule sous les coups de
fourche — comme une souveraine qui dans le génie du
cœur improvise une décoration tendre cravatant tour à tour
chaque meuble de sa guirlande singulière de lingerie
naïve — et, toute souriante au dégel tiède de la pièce
soudain infailliblement habitée, mes bras la recueillaient
nue et tremblante, comme une reine au milieu de ses dons.

Julien Gracq
Prose pour l'étrangère


La connotation triviale avec le chou vert, qualifié en parler gallo de "chou à vache", que suggère  l'innocent et tendre cœur du chou est vite effacée par les pieds nus de la laveuse haut troussée.  

C'est la "ténèbre chaude" du corps féminin, rêvée, vécue (?) par Gracq qui surgit. Proche encore des premiers troubles du jeune lycéen entrevoyant les ouvrières nantaises, déjupées, fêtant le Carnaval et déjà dans l'accomplissement attendu et redouté de la possession, du saccage et de la fuite.

Vient aux lèvres du liseur la litanie des pré-noms féminins :

celles qui précédèrent,
l'Heide du Château d'Argol
la Vanessa du Rivage des Syrtes
la Kundry du Roi pêcheur

celles qui suivirent,
l'Irmgard de la Presqu'île,

et les innommées
la servante et maîtresse du Roi Cophetua
les cavalières et les piétonnes de la Route.

 

Cette note adressée à François Bon pour qu'il récupère au plus vite... avant le passage des boueux, son exemplaire du tome I des œuvres complètes de Gracq dans la Pléiade. C'est le seul "lieu", je le répète, où la Prose pour l'Étrangère est lisible. Il est vrai que je peux lui en scanner les six pages — il s'agirait bien alors d'un usage privé.

Addendum : le geste rageur a épargné la poubelle aux deux tomes des Œuvres qui sont en bonnes et filiales mains aux Indes.

 

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