lundi, 23 janvier 2012
Grands Barbus en petit livre*
C'est un petit bouquin qui a paru en novembre 2011. Trouvé par hasard au kiosque "livres" du Lieu Unique en sortant du débat "France : terre de machisme" où s'affrontaient Clémentine Autain, droite et claire comme épée de justice et Christine Boutin, dame démocrate chrétienne qui aimerait bien être présidente
Il est préfacé par... Victor Hugo qui, en 1845, écrivit une lettre dite « du Barbu » :
Dieu avait donné à l'homme, le jour même où il le créa, ce magnifique cache-sottises : la barbe. Que de choses en effet, au grand avantage de la face humaine,disparaissent sous la barbe : les joues appauvries, le menton fuyant, les lèvres fanées, les narines mal ouvertes, la distance du nez à la bouche, la bouche qui n'a plus de dents, le sourire qui n'a pas d'esprit. À toutes ces laideurs, dont quelques-unes sont des misères et quelques autres des ridicules, substituez une végétation épaisse et superbe qui encadre et complète le visage en continuant la chevelure, et jugez l'effet ! L'équilibre est rétabli, la beauté revient.
Mais
Le bon Dieu fut vertement tancé pour avoir inventé la barbe. L'homme orné de cette chose fut déclaré bouc. La barbe fut décrétée laide, sotte, sale, immonde, infecte, repoussante, ridicule, antinationale, juive, affreuse, abominable, hideuse, et, ce qui était alors le dernier degré de l'injure - romantique.
Il présente vingt-quatre Grands Barbus et parmi eux, j'ai quelques préférences fortes: Diogène, François d'Assise, Karl Marx, Henry David Thoreau, Gustave Courbet, Walt Whitman, Herman Melville, Élisée Reclus, Auguste Rodin, Vincent Van Gogh.
Et l'éditeur — est-il barbu lui-même ? — de lancer dans son Avertissement
Le barbu est largement sous-estimé. Rien ne serait plus faux que de voir dans la barbe un archaïsme : même dans les temps où les rasoirs étaient de silex, la barbe n'était pas une fatalité, mais déjà un choix esthétique et moral. Masculine et fleurie, terrifiante et douce, animale et cultivée : la barbe, c'est le paradoxe même de la sagesse - l'art de maîtriser le laisser-aller, ou de laisser le savoir s'embroussailler...
Et si c'était la barbe qui faisait le sage ? Avec en moyenne cinq cents poils au centimètre carré, ses joues sont un jardin, un bois, une forêt - un radar qui le relie aux forces du cosmos.
À notre siècle où la barbe revient en force, chez les rugbymen ou chez les rockers, barbe de trois jours ou barbe des bois, barbe des villes ou barbe des champs, ce petit ouvrage veut rendre un hommage contemporain à la figure tutélaire du barbu, homme libre et puissant, tendre et viril, paternel et sauvage.
Mais il en manque, et pour moi, tout aussi grands sinon plus. De gauche à droite et de haut en bas :
Les Grecs
Homère, Héraclite, Démocrite, Eschyle, Sophocle, Euripide, Épicure,
Le Romain Lucrèce,
Le Maghrébin Ibn Khaldûn,
Les deux de la Renaissance
Joachim Du Bellay,
Michel de Montaigne,
Et, point d'orgue du XXe Siècle, ce bon Gaston Bachelard.
Elles ne sont point — et pour cause ! — dans ce petit livre des Grands Barbus. Je les ajoute — leur seul nom, car existe-t-il d'elles une image ? — pour illuminer d'un sourire toutes ces barbes "tendres et viriles, paternelles et sauvages" et pour que je ne sois point suspect du moindre copeau de machisme.
J'ai nommé Sappho de Mytilène et Louise Labé.
Ou tout aussi bien Haspasie, Hypatia, Râbi'a al-Adawiyya ou Simone de Beauvoir.
Mais tout ceci, ce livre, ces noms, ces visages, ces poètes, ces philosophes, ces dramaturges, mon visage même, par la grâce de ces quelques vers qui remontent de mon adolescence :
J'ai revu cette nuit les compagnons de mon enfance
Qui pourraient vivre chantournés avec des barbes comme des crédences
Ce sont les prêtres de ma religion
René Guy Cadou
...chantournés avec des barbes comme des crédences....
* Mathieu DUMONT, Le petit livre des Grands Barbus, Esprits sauvages de Lao Tseu à Bob Marley, Éditions WildProject, 2011.
19:26 Publié dans Cadou toujours, Du Bellay mon voisin, Les antiques, Les listes | Lien permanent | Commentaires (0)
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