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mardi, 04 avril 2006

où il est question de censure

Hier matin, une surprise, dans la nouvelle Fabrique de l’histoire, animée par Emmanuel Laurentin, à propos de la censure, thème de la semaine sur France Cul, une voix de belle audace.
L’oreille attentive identifie très vite les inflexions de cette voix qui, une nuit de 1995, lui apporta une approche étonnante de ce que peut être la démarche d’un peintre contemporain : Bernard Dufour, la “main” du peintre qui dessine Emmanuelle Béart dans la Belle Noiseuse, le film de Rivette.

J’étais plongé dans l’aventure des autobiographies et celle de Dufour, où l’on rencontre tout un monde des arts et lettres, Barthes, Paule Thévenin, Alain Robbe-Grillet, Catherine Millet, Jacques Henric, Pierre Guyotat, Joyce Mansour, Denis Roche, est aussi un grand poème d’amour sillonné par des vols de freux, un inventaire des tableaux qu’inspirèrent cet amour, une chasse à la fouine ; je crois y entendre l’envol de sept chouettes-effraies un soir de novembre et, rappelez-vous, le crissement de la plume d’acier qui trace Emmanuelle Béart nue.
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«………Après le tournage avec Jacques Rivette de La Belle Noiseuse - me réinstallant difficilement dans mon atelier du Pradié et sa solitude -, pour retrouver le plein exercice de la peinture et sa conscience je me suis livré de nouveau en 1992 et 93 à l'anamnèse, cette fois-ci, de ma vie de peintre, et j'ai écrit Au fur.
Au fur n'est ni un journal ni une confession, mais une autobiographie incomplète que les trous de mémoire rendent sans doute non véridique ou non exacte, mais que je suppose non délibérément mensongère.»

Les dates, entre les trous de mémoire, sont mentionnées, non pas en chiffres, mais en toutes lettres. Manière de dater pour le moins originale !

Pour revenir au thème de l’émission, la censure qui accabla certains tableaux de Dufour, Laurentin lira ce passage :

Il est étrange qu'un homme et une femme soient toujours nommés Adam et Eve, trois femmes nues Les Grâces ou Le Jugement de Paris, quatre ou cinq femmes nues Les Sorcières. Il est étrange que, surtout, depuis le XIXe les peintres aient tant aimé peindre non pas eux-mêmes et leurs amantes et leurs corps, mais leur petite famille, la jeune fille au piano avec maman, les petits frères aux dominos, les tantes, le chien. Un seul s'est peint se rafraîchissant le sexe dans une cuvette après avoir joui de sa femme et l'avoir fait jouir tant elle est lasse, Picasso, Malevitch, Otto Dix, Matisse, De Kooning ? non, Bonnard, pour qui il est si nécessaire de peindre l'amour, comme cela l'est aussi pour les divins Rembrandt et Goya, divins comme le marquis, celui que Flaubert nomme toujours "Le Vieux", et je pourrai moi les nommer, Rembrandt et Goya, “Les Deux vieux", appariés. J'ai évoqué la componction de la plupart des artistes, la pudeur extrême en est une des composantes. La pudeur ou la soumission à travers les âges à la censure de l'antique tabou néolithique : ne pas figurer la nudité de l'homme et de la femme, sinon à travers des signes symboliques ou plus tard à travers les corps professionnels des modèles, ces hommes et ces femmes dont le métier ouvrier est de poser nus devant les artistes, ces corps transformés en pommes dans cette relation que montre la célèbre photo par Cartier-Bresson de Matisse et d'un modèle.

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Ah, si ! Bernard Dufour récuse l'érotisme, il ne refuse ni l'indécence, ni la pornographie !

• Bernard Dufour, Au fur, Christian Bourgois éditeur, 1995
• Le Musée d'Art Moderne et Contemporain de Strasbourg organise une exposition de 40 tableaux du peintre, du 7 avril au 23 juillet 2006.

Post-scriptum(qui a peut-être à voir avec l'esprit libertaire de Bernard Dufour) :
Nous aurions été entre 70 et 100 000 entre la place du Commerce et la Petite Hollande via le Port-Communeau et la rue de Strasbourg

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