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jeudi, 11 mai 2017

comment prendre les eaux

ou une leçon de thermalisme par l'ami Montaigne

 Il m'aura donc fallu venir en cure à Barbotan une troisième année pour apprendre quasi fortuitement que Montaigne y vint sans doute prendre les eaux, il y a quelques quatre-cent trente ans.
Hasard d'une lecture, livrée elle-même au hasard de mon numéro de vestiaire d'entrée puisque je joue ainsi de mes lectures du jour ; c'était  à l'automne 2015 avec les Regrets de Joachim ; à l'automne 2016, avec les Haïkus de Bashô.
Ce printemps, je récidive avec les sonnets de l'Olive et ma "librairie portative" s'est grossie de la seule et épaisse biographie MONTAIGNE, la splendeur de la liberté de Christophe Bardyn, curieuse biographie qui fouine dans les recoins des Essais, pour y paradoxalement faire lire ce que n'a pas écrit Montaigne, ce qu'il suggère, démarche qu'il résume ainsi dans les Essais, III, 9 :

« Tant y a qu'en ces mémoires, si on y regarde, on trouvera que j'ai tout dit, ou tout désigné. Ce que je ne puis exprimer, je le montre au doigt ».

Et Bardyn de suivre "le doigt", de ne point se priver d'y aller regarder, de prolonger le commentaire en soulignant — parfois — le peu de curiosité de ses prédécesseurs biographes. Ça décape, ça irrite ici, ça outrepasse là. C'est à lire.

Bref, mon numéro de vestiaire d'entrée aux Thermes m'a conduit au chapitre 29, La Pierre et les eaux : nul n'ignore les coliques néphrétiques, les tourments et les hurlements de douleur, qui, les Essais étant enfin édités, seront le prétexte à la fréquentation des stations thermales d'Europe lors du voyage en Italie, via l'Allemagne et la Suisse.

Ce n'est pas encore Montaigne qui rédige les premières pages du Journal de voyage, c'est son secrétaire : les voyageurs se trouvent à Bade, l'actuelle Baden, alors petite station thermale suisse, mais il y est question de Barbotan :

L’eau des bains rend une odeur de soufre à la mode d’Aigues-Chaudes & autres. La chaleur en est modérée comme de Barbotan ou Aigues-Chaudes, & les bains, à cette cause, fort doux & plaisants.
Qui aura à conduire des dames qui se veuillent baigner avec respect & délicatesse, il les peut mener là, car elles sont aussi seules au bain, qui semble un très riche cabinet, clair, vitré, tout au tour revêtu de lambris peint & planché très proprement ; à tout des sièges & des petites tables pour lire ou jouer si on veut étant dans le bain.
Celui qui se baigne, voit & reçoit autant d’eau qu’il lui plait ; & a t’-on les chambres voisines chacune de son bain, les promenoirs beaux le long de la rivière, outre les artificiels d’aucunes galeries. Ces bains sont assis en un vallon…
L’eau au boire est un peu fade & molle, comme une eau battue, & quant au goût elle sent au souffre ; elle a je ne sais quelle piqure de salure. Son usage à ceux du pays est principalement pour ce bain… Ceux qui en boivent à leur coutume, c’est un verre ou deux pour le plus. On y arrête ordinairement cinq ou six semaines, & quasi tout le long de l’été ils sont fréquentés…
L’usage en est fort ancien, & duquel Tacitus fait mention ; il en chercha tant qu’il put la maitresse source & n’en put rien apprendre ; mais de ce qu’il semble, elles sont toutes fort basses & au niveau quasi de la rivière. Elle est moins nette que les autres eaux que nous avons vu ailleurs, & charrie en la puisant certaines petites filandres fort menues. Elle n’a point ces petites étincelures qu’on voit briller dans les autres eaux souffrées, quand on les reçoit dans le verre, & comme dit le seigneur Maldonat, qu’ont celles de Spa.
M. de Montaigne en but lendemain que nous fumes arrivés, qui fut lundi matin, sept petits verres qui revenaint à une grosse chopine de sa maison ; lendemain cinq grands verres qui revenaint à dix de ces petits, & pouvaient faire une pinte. Ce même mardi à l’heure de neuf heures du matin, pendant que les autres dînaient, il se mit dans le bain, & y sua depuis en être sorti bien fort dans le lit. Il n’y arrêta qu’une demi-heure ; car ceux du pays qui y sont tout le long du jour à jouer & à boire, ne sont dans l’eau que jusqu’aux reins ; lui s’y tenait engagé jusques au col, étendu le long de son bain.

 

Ce matin donc, à Barbotan, l'eau des piscines, du couloir de marche, des baignoires et des boues était bien cette même eau qui, quatre-cent trente ans plutôt, avait apaisé le corps de l'ami Montaigne.
Au goût, elle n'était "ni fade, ni molle, ni battue"; certes elle avait odeur de souffre !

Le verre d'eau bu avait le goût de sa pensée.

 

lundi, 01 mai 2017

de nouveau, mais au printemps, à Barbotan

Revenu donc en saison printanière pour barboter dans les bienfaisantes illutations, les douches par immersion auxquelles se sont ajoutées de bien bonnes et actives bouillonnantes baignoires.
Je me suis embarrassé cette fois d'un lourd "Poésie/Gallimard", cet ÉROS ÉMERVEILLÉ qu'est l'Anthologie de la poésie érotique française trop épais pour mon sac de cure. Et d'un plus lourd et plus épais encore Montaigne ou la splendeur de la liberté.

 

Cependant ailleurs est l'urgence qui sans nuire aux jouissances et de cure et de lecture, assaille le mental du lecteur

En ces semaines de tohu-bohu citoyen, quand le seul lien identitaire qui me relie encore à ce pays de ma naissance serait sa seule langue, c'est bien le recours à deux hommes, grands fabricants de cette même langue, qui m'est mince lumière pour ce dimanche à venir.

La plainte du premier, un de mes plus anciens, poète de mon enfance :

 

France mère des arts, des armes, et des lois,
Tu m’as nourri longtemps du lait de ta mamelle :
Ores, comme un agneau qui sa nourrice appelle,
Je remplis de ton nom les antres et les bois.

Si tu m’as pour enfant avoué quelquefois,
Que ne me réponds-tu maintenant, ô cruelle ?
France, France, réponds à ma triste querelle :
Mais nul, sinon Écho, ne répond à ma voix.

Entre les loups cruels j’erre parmi la plaine,
Je sens venir l’hiver, de qui la froide haleine
D’une tremblante horreur fait hérisser ma peau.

Las, tes autres agneaux n’ont faute de pâture,
Ils ne craignent le loup, le vent, ni la froidure :
Si ne suis-je pourtant le pire du troupeau.

 Joachim Du Bellay et
le Sonnet IX de ses Regrets

 

La parole assénée du second, découverte solaire de mes fins d'adolescence, ce télégramme aphoristique de René Char :

 

Réclamons venue civilisation serpentaire. Très Urgent.

 

comme un vœu de colère, comme un vote de révolte, non à glisser mais à ficher sur l'urne vaine. 

Qui peut entendre, entendra ! Qui tente de comprendre, comprendra.